Кафедра и трон. Переписка императора Александра I и профессора Г. Ф. Паррота — страница 32 из 183

La seconde et dernière fois où j’ai fait mention du paysan en public fut en passage de V. M. et c’est en peu de mots que j’ai eu le bonheur ineffable d’oser Vous dire à cette occasion que je dois vraisemblablement Votre bienveillance particulière et la haine de la noblesse. Je me suis chargé de cette haine, volontierement, après en avoir été expressément menacé par les curateurs quelques instants avant Votre arrivée. Je me chargeais de bien davantage, si mon cœur se fût trompé dans l’avis qu’il s’était fait de Votre Majesté. Le mot fatal prononcé mettait tout mon sort, toute mon existence dans Vos mains. Votre réprobation eût légitimé la haine de la noblesse, et je ne pouvais pas même compter sur l’attachement secret des hommes intègres qui ne jugent pas des motifs par l’évènement. Vous commenciez déjà à faire les délices de l’Europe.

Mais cet instant était sacré. L’humanité le revendiquait. J’osai le lui donner, j’osai forcer notre conseiller intime à Vous recevoir à la tête de l’Université, sinon d’une manière digne de Vous au moins d’une manière qui exprimait notre reconnaissance pour l’honneur que Vous nous faisiez7. Quelques heures avant Votre arrivée il était encore décidé qu’on recevait le Monarque de la Russie, un froid rapport à la main! Sans connaître tous ces détails, Sire, Votre grand cœur m’a justifié, à présent qu’il les connait il ne me condamnera pas.

Dès lors je m’abstiens de tout propos public sur cette matière (tous mes discours sont entre les mains de V. M.), et j’évite à dessein pendant les circonstances actuelles d’en parler dans mes entretiens particuliers avec les étudiants. Du reste j’emploie au moins 14 heures la journée à remplir mes devoirs de recteur et de professeur; les heures du repas et le reste du soir sont pour ma famille, en sorte que quand même j’en aurais l’intention, il me serait impossible de me répandre dans les sociétés pour y prêcher les principes dont on m’accuse.

Voilà, Sire, ce que j’ai à dire pour la justification de l’Université et la mienne, sans attaquer personnellement nos détracteurs. Si j’ai quelque tort dans cette justification, si je me suis oublié quelque part, daignez, Sire, ne pas oublier que Vous connaissez à peine la dixième partie des mesures avilissantes qu’on avait prises contre nous: je les ai tues même au brave avocat que Vous nous avez donnés. Pardonnez-moi les élans involontaires du sentiment. Mais comment Vous écrire et maîtriser mon cœur? Il se révolte d’être forcé de Vous parler de la perversité humaine. Votre vrai règne n’est pas de ce monde.

Parrot

17. Alexandre IER à G. F. Parrot

[Saint-Pétersbourg, à la fin d’avril ou au début de mai 1803]1


<…>2 le plus avantageusement placé pour juger des sentiments que l’on a pour Vous,

<…> mais que ce sont précisément les événements, qui éprouvent l’homme, lui en attendant

<…> l’assurance qui Vous est si bien dûe de ma sincère estime.

Alexandre

18. G. F. Parrot à Alexandre IER

[Dorpat, mai 1803]


Sire!

Me voici vis-à-vis de Votre lettre; je la relis, peut-être pour la dixième fois. L’attendrissement qu’elle m’a causé à la première lecture ne diminue pas et je ne sais comment répondre. Les idées et les sentiments, le souvenir de mon séjour à Pétersbourg, le bonheur dont Votre présence m’a comblé, supérieur à tout ce que mon ardente imagination osait se permettre de désirer – tout se croise dans ma tête et dans mon cœur – je ne viens pas à bout d’écrire. Je me trouve si heureux dans cette situation! – Mais les affaires m’appelleront bientôt, et je Vous dois, Sire, une réponse dictée par la raison seule.

Croyez, Sire, fermement, que j’ai percé en effet au travers de la pourpre qui Vous environne, que je n’aime de toute Votre personne que Vous-même. Peu après Votre avènement au trône Vos premiers Ukases m’inspirèrent de l’enthousiasme pour le Monarque qui sait aimer les hommes, et lors de votre passage à Dorpat, où j’eus le bonheur de Vous dire à la hâte quelques mots dictés assurément par un sentiment pur, je ne voyais encore en Vous que l’instrument de bonheur de 40 millions d’hommes. Votre présence me mène plus loin que je ne croyais. Le ton de Votre réponse m’assura qu’elle contenait quelque chose de plus expressif que les mots officiels dont je dressai le protocole. Je commençai à Vous appartenir. Cependant je fluctuais encore. Je redoutais l’influence du Monarque. Il est si difficile d’éprouver ses sentiments. À Pétersbourg, où Votre cœur daigna s’adresser au mien, je me donnai à Vous sans réserve, sans crainte, sûr à présent qu’aucun égoïsme ne pouvait entrer dans ce que j’éprouvais pour Vous. Cette sûreté me rend heureux, elle adoucit l’amertume qu’on tâche de répandre sur ma vie; peut-être me rendra-t-elle invulnérable à cet égard. Laissez-moi ce sentiment tout entier, Sire. Laissez-moi Vous aimer à ma façon; et quand l’heure sonnera – souvenez-Vous de moi, comme Vous me l’avez promis. Je paierai ma dette en homme dans l’âme duquel les sentiments tendres n’ont laissé aucune empreinte de la faiblesse.

Sire, Vos réflexions sur la prospérité, l’adversité et l’attachement m’ont frappé. D’abord, j’ai été ravi de pouvoir en conclure que Vous Vous trouvez heureux. Il est vrai que les Princes qui se trouvent heureux sur le trône ne sont pas rares. Il y en a tant qui ont le secret de faire le bonheur de leurs sujets en toute commodité et de trouver ce passe-temps fort agréable, tandis que les Princes qui aiment véritablement leur peuple tombent souvent dans le défaut de ne pas aimer leur sublime vocation, parce que les difficultés qu’ils éprouvent les fatiguent. Ceux-là exigent trop peu d’eux-mêmes, ceux-ci exigent trop de l’humanité. Vous sentez sûrement, Sire, tous les désagréments de Votre situation; mais Vous savez que l’homme fort doit les supporter, qu’il doit accepter des mains de la providence les maux comme les biens sans répugnance, de gaieté de cœur. Il faut être généreux envers la nature, comme elle l’a été envers Vous. Vous l’êtes, Sire, je lis avec enthousiasme dans Votre lettre que Vous Vous trouvez heureux. Soyez-le, ô le plus chéri des mortels, soyez-le constamment, dans le sens que je donne à ce mot. Il n’y a que Vos ennemis qui puissent Vous souhaiter un bonheur constant dans le sens vulgaire1.

Vous m’avez donné une maxime qui m’a fait un plaisir infini. Elle est d’une vérité frappante. «Ce sont précisément les événements qui éprouvent l’homme lui-même». Une confiance immodérée en ses propres forces, la présomption, pour m’exprimer simplement, est une partie marquée du caractère de notre siècle. J’ai droit de le dire parce que je ne fais pas d’exception pour moi-même. Je me suis plus d’une fois surpris à ce défaut, qui me vient de la nécessité où je me suis constamment trouvé de payer de ma personne. On se fie trop facilement à soi-même lorsqu’on est persuadé de sa bonne volonté, et cette confiance immodérée a souvent coûté à tel honnête homme sa moralité parce que pour arriver à ses fins qui étaient bonnes en soi, il est devenu facile sur les moyens, faute de force pour y arriver en droiture. Jusqu’à présent je n’ai pas encore fléchi sur mon principe de ne point employer des moyens ignobles même pour le plus noble but. Aussi ai-je souffert, surtout tant que mon caractère n’était pas formé.

Mais, Sire, en m’accusant moi-même de présomption ne diminue-je pas la confiance dont Vous m’honorez, surtout sur le point de ce que Vous voulez bien appeler mes offres? Je l’ignore. Mais je sais qu’il était de mon devoir d’être vrai, et je n’ai à cet égard qu’un vœu, c’est que, que Votre confiance soit grande ou petite, forte ou faible, Vous me teniez parole dès que le cas s’en présentera.

Votre second principe, que ce sont des événements qui nous apprennent à connaître ceux qui nous sont véritablement attachés, est beaucoup moins vrai que le précédent. À la vérité il paraît en découler tout naturellement. «Si nous avons besoin de l’expérience pour apprendre à nous fier à nous-mêmes, comment se fier aux autres sans le secours de ce guide éclairé?»

Ma réponse est simple: le cas est différent. Pour tirer quelque profit d’une ou de plusieurs expériences, il faut connaître parfaitement les conditions sous lesquelles elles ont eu lieu, en morale comme en physique. Or n’est-t-il pas incomparablement plus difficile de connaître ces conditions lorsqu’il s’agit de juger des actions d’autrui que quand il est question de nous-mêmes? La plus saine logique est un guide bien peu sûr lorsqu’il s’agit de déterminer les motifs d’actions qui nous sont étrangères. L’esprit d’un seul luttant contre mille autres doit s’attendre, il est vrai, à quelques victoires mais aussi à bien des défaites, et ses victoires même doivent lui paraître douteuses. Ici comme en politique on chante souvent le Te Deum des deux côtés pour la même bataille2. Mais que faire dans cette incertitude? Vous surtout, Sire, dans la position où le genre humain s’applaudit de Vous voir, Vous souffrirez de votre principe et de mon commentaire. Je ne connais point d’état pire que celui de l’incertitude, parce qu’il paralyse l’homme fort, le rend l’esclave de l’avenir auquel il aurait le droit de commander. Mais, qui croira que la Nature ait abandonné dans quelque condition que ce soit l’homme moral à ce triste état? Il est vrai qu’elle n’a ni dû ni pu calquer l’homme sur le monarque. Mais si son ouvrage est parfait, le monarque doit se retrouver dans l’homme, surtout dans l’individu de qualités supérieures; il n’y a que le méchant qui fasse exception dans quelques conditions qu’il se trouve. Vous possédez, Sire, à un degré éminent, le secret qu’il Vous faut, celui de lire dans le cœur de l’homme par le sentiment. Le besoin Vous a forcé plus d’une fois d’en faire usage, et si Vous avez eu soin d’affranchir chacun de Vos jugements de toute influence étrangère au sentiment, sûrement Vous ne Vous serez pas trompé. Il n’y a que les jugements mixtes qui puissent être incertains. Un cœur pur nous conserve, dans toute son intégrité, ce tact délicat dont la nature nous a doués pour reconnaître nos semblables. Veuillez, Sire, lire dans les Abderites de Wieland le chapitre intitulé: le cosmopolite. C’est un traité charmant sur cette matière, qu’on ne cherche pas dans cet ouvrage