Sire! Je demande justice. Puisque ni le bien public ni mes raisons ne peuvent inspirer au Ministre de l’activité, que l’autorité lui en donne! L’honneur national y est intéressé plus encore que le bien de l’Université de Dorpat.
Parrot,
Recteur
23. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg, à la veille du 8 août 1803]1
Sire,
Je connais Votre malheur domestique2; je partage Vos peines et me reproche amèrement la nécessité cruelle où je suis de me plaindre en ce moment du Comte Savadofsky. Vous savez, Sire, combien le prolongement de mon séjour ici me fait négliger de devoirs, et il y a trois semaines que j’ai terminé l’affaire de nos Statuts avec la commission générale! Lorsque ces Statuts furent remis au Ministre pour les présenter à la sanction de V. M. le Général Klinger le conjura de ne pas tarder, en lui alléguant les raisons pressantes que j’avais de m’en retourner. Quelques paragraphes qui, faute de temps, n’avaient pas être discutés définitivement avaient été remis aux soins du Ministre, qui les régla quelques jours après avec mon collègue et moi. L’affaire était donc faite. – Non; il la garde encore, y apporte quantité de changements, à mon insu, à l’insu de la Commission. Enfin dimanche dernier je crus tomber au terme; l’on me remit l’original allemand: j’y trouve les nouvelles corrections.
Après avoir consulté Messieurs Novossiltzoff et Klinger, je me décidai par amour de la paix, pour pouvoir enfin quitter Pétersbourg, à ne point faire de protestation dans l’espérance de faire changer à la suite par quelques lois particulières les fautes de logique que le Ministre inocule à notre ouvrage. Cette modération n’a servi à rien, et j’apprends qu’il en est à de nouvelles corrections, et que les lois pour des étudiants et les lois de notre commission des écoles vont subir le même sort. Tout notre travail portera l’empreinte de son génie.
Sire! que faire? Il a si bien pris ses mesures qu’il est même presque impossible de lui démontrer ses torts; il a négligé dans les séances toutes les formes qui pouvaient servir à donner de la stabilité aux décrets de la Commission. Il n’est qu’un moyen de terminer en peu de jours: c’est de redemander au Comte Savadofsky tous mes papiers et de charger Messieurs Novossiltzoff et Klinger de l’examen de toutes mes affaires, comme lors de l’acte de fondation3.
Sire! daignez le faire; sans cela ce semestre est perdu pour nous et le bien public. Après tant de soins, de sacrifices, de travaux de Votre part, Vous avez en vérité le droit de vouloir enfin posséder dans Vos vastes États au moins une université complètement réglée.
24. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg, 15 septembre 1803]
Dimanche matin à V heures1.
Sire!
Puisque les circonstances ne veulent pas que pendant les 3 longs mois que j’ai passé ici j’aie le bonheur de Vous voir encore une fois avant mon départ, il ne me reste que ce moyen de satisfaire au besoin de mon cœur. L’Université de Dorpat Vous doit ses actions de grâces pour les bienfaits que Vous venez de lui accorder, et elle s’en acquittera avec les sentiments d’une fille reconnaissante. Moi je Vous dois des actions de grâces pour la manière dont Vous nous les avez accordés. Homme si digne d’être chéri! Recevez-les; ils partent d’un cœur qui Vous aime au-delà de toute expression. À présent que je quitte Pétersbourg et les affaires de tout genre pour rentrer dans ma carrière d’homme de lettres j’aurai moins souvent l’occasion de Vous parler de ce sentiment profond que Vous m’avez inspiré, et quand même l’occasion s’en présentera, ce fera une voix sans écho. Les mêmes raisons qui m’ont ravi les délices de Vous voir, me frustreront de Vos réponses2. – Sûr au reste que malgré le tourbillon des affaires et de Vos alentours il viendra quelquefois des instants où mon souvenir se retrouvera vivement à Votre mémoire, je pourrai peut-être me consoler d’être sous tant de rapports éloigné de Vous. Mais j’ai une prière à Vous faire. Que ces instants soient pour Vous des moments de recueillement! Sortez alors du tourbillon, rentrez dans la solitude du sentiment. Songez à l’amitié, songez surtout aux vertus domestiques3. Ne Vous lassez pas de Vous les approprier toutes. N’en croyez pas aux sophistes qui les regardent comme inutiles en parti sublime que Vous occupez. Elles sont la base de toutes les autres vertus. Elles décident de toute notre moralité parce que c’est sans cesse que nous abhorrons ou foulons aux pieds les devoirs qu’elles nous imposent. Elles exercent sur nous l’empire irrésistible de la coutume. O mon Alexandre! Saisissez-Vous de ce levier puissant des grandes actions, et si Vous l’avez déjà en main, regardez-le comme le plus précieux trésor que Vous possédiez. L’ami même, l’ami le plus dévoué, le plus sincère ne l’égale pas.
Tels sont mes adieux – pour longtemps. Soyez heureux, dans le sens sublime que j’attache à ce mot, et que le ciel conserve longtemps à la terre le monarque heureux de la Russie.
Parrot
P. S.
Novossiltzoff Vous remettra ces jours-ci un petit traité de moi, de la publication duquel j’espère quelque utilité. Il est déjà en russe4. Vous êtes si prompt à récompenser que je crois devoir Vous rappeler notre convention tacite. Il n’existe pour moi qu’une seule espèce de récompense, et Vous en avez déjà trouvé le secret. Vous l’avez si bien exercé!
25. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Dorpat, octobre 1803]1
Sire,
L’aristocratie, qui a juré la perte de Votre Université de Dorpat, relève sa tête altière et rassemble de nouveaux orages contre nous. Elle a réussi même à fasciner les yeux de notre brave Klinger, qui, à force de vouloir être impartial, devient injuste envers ses meilleurs amis.
Le procès, d’ailleurs si simple du conseiller de collège Spalkhaber, est l’étendard qu’on déploie, et Votre Majesté aura été sûrement instruite indirectement de cette affaire. Sire! Mon devoir est de Vous en instruire directement, en attendant la fin de ce procès dont les pièces motiveront sans doute des représentations officielles de l’Université.
Vous savez, que la vérité est la déesse à laquelle je sacrifie journellement. D’ailleurs je ne suis ni Recteur, ni membre du tribunal qui a conduit jusqu’ici l’affaire en question. Je suis simple spectateur sans intérêt personnel en ceci. Si cependant il se trouvait que je Vous aie trompé, si les actes de ce procès me donnent le moindre démenti, je me soumets personnellement à Votre disgrâce, et à toute la rigueur des lois. Vous savez, Sire, ce que j’attache à ce mot Votre disgrâce. Aucun mortel ne Vous aime comme moi.
Des bruits publics accusaient Spalkhaber d’avoir diffamé la réputation de deux de nos professeurs Les professeurs avaient méprisé ces bruits. L’accusé ne méritait pas notre attention. Les étudiants outrés par cette calomnie veulent laver la réputation de leurs professeurs et envoient cinq d’entre eux demander à Spalkhaber s’il a publié cette calomnie ou non. Peu satisfaits de sa réponse ils se retirent. Spalkhaber prétend que les étudiants se conduisirent tumultuairement à cette occasion, sans avoir encore pu le prouver. Il porte plainte au Recteur qui est forcé d’ajourner l’instruction de ce procès parce que le lendemain et surlendemain il y avait séance de la chambre des finances pour la reddition des comptes au Curateur et séance pressante de la commission des écoles. Daignez, Sire, ne pas oublier que le Recteur de notre Université est chef de 9 tribunaux et comités qui vont tous de pair sans compter la clinique de l’Université et les leçons qu’il doit donner comme professeur de médecine2. Des pareils travaux multipliés sans cesse par la guerre presque universelle que nous avons à soutenir doivent assurément excuser un délai de 3 jours si ordinaire dans d’autres tribunaux qui n’ont qu’un seul genre de travail. Pendant cet intervalle les étudiants se rassemblent en plein midi et portent à Spalkhaber un pereat devant sa maison à la proximité du corps de garde. Le Recteur, ayant été averti de cet excès par une dénonciation de Spalkhaber, présente la chose au tribunal de l’Université, parce qu’elle passait sa compétence. La dénonciation portait qu’en outre on avait cassé une vitre et on accusait un des étudiants en particulier. Elle se terminait par exiger que les coupables fussent incessamment livrés aux tribunaux criminels. Le tribunal de l’Université qui trouvait dans les Statuts des étudiants § 34, une loi précise contre les insultes faites à des particuliers, et un § 30 contre la polissonerie commise en public, crut à juste titre que le cas était de sa compétence, et non de celle des tribunaux criminels, récuse la dénonciation en invitant le dénonciateur à porter une plainte ordinaire pour obtenir satisfaction. Au lieu de le faire, Spalkhaber insulte à deux reprises par écrit le tribunal et tout le conseil de l’Université, et récuse en général la compétence de l’Université. Le tribunal le condamna pour ce manque d’égard à une amende de 20 Roubles. Peu après Spalkhaber se décide à reconnaître la compétence de l’Université, porte sa plainte qui est d’abord reçue. Le tribunal est occupé à l’examiner selon toute la rigueur de la loi. Mais il ne s’agissait pas seulement d’un délit contre un particulier, le général qui commande à Dorpat notifie que le pereat porté en présence du corps de garde est un manque de respect envers la garde. Le Recteur punit à cet égard les coupables en présence d’un témoin requis par lui et envoyé par le général qui déclare être plus que satisfait. Ainsi l’Université a donné la satisfaction publique et est occupée de prouver la satisfaction privée que Spalkhaber tienne en longueur en voulant aggraver le délit sans fournir de preuves.