Parrot
48. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg], 1 mars 1805
Sire!
Je viens Vous demander ma permission que Vous voudrez peut-être au premier instant me refuser, mais que j’espère que Vous m’accorderez à la réflexion; c’est de faire publier par la Gazette de Hambourg1 ce que Vous faites en cet instant pour Dorpat et les écoles de son arrondissement. Ne me soupçonnez pas de gloriole, ni pour Vous, ni pour moi, mon but tient à la politique. Il est, je crois, intéressant pour le moment présent que le César de la France, le Philippe de l’Europe2, conçoive la plus haute idée des ressources de la Russie, et il n’y a peut-être pas de moyen plus sûr de lui donner cette idée qu’en faisant voir que malgré l’appareil de la guerre que Vous lui préparez Vous avez toujours des ressources nouvelles pour les sciences que lui laisse en France en proie au besoin. L’article serait daté de Dorpat, et j’y laisserais apercevoir un petit grain de vanité de notre part, que les gens de lettres de l’étranger trouveront tout naturel, pour mieux cacher le vrai but de l’annonce qui par là même sera atteint d’autant plus sûrement. Daignez m’accorder un mot de réponse.
Je ne Vous rappelle pas les sujets de notre dernier entretien; ils sont trop chers à Votre cœur. Mais permettez-moi de Vous faire souvenir que quand les affaires de l’Université seront terminés je devrai partir. Ce mot, devoir partir, a beaucoup de sens pour moi. Un des sens auquel Vous ne pensez peut-être pas, a rapport à Vous. – Je m’accoutume trop aux délices de Vous voir.
Le Ciel protège mon Alexandre!
Parrot
49. Alexandre IER à G. F. Parrot
[Saint-Pétersbourg, 2 mars 1805]1
Je me rends à Vos raisons et Vous laisse le maître de faire ce que Vous désirez, pourvu toutefois que les Panégyriques soient mis de côté. J’espère sous peu Vous reparler de ce qui a été l’objet de notre dernier entretien; patience, j’ai tant de chose à faire, il faut que tout marche.
Tous à Vous.
[Paraphe]
50. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg], 10 mars 1805
Sire!
Je Vous avais annoncé qu’à la séance du 21 février1 les écoles paroissiales avaient été décrétées, à quelques articles près que je changerais avec plaisir, et je félicitais l’humanité et Vous de cet événement. Depuis, la face de la chose a changé et je ne sais, à la lettre, où j’en suis à cet égard. Permettez-moi, Sire, de Vous offrir l’historique des faits.
À cette séance du 21 février on était convenu de Vous présenter le Règlement que j’avais proposé lorsque j’aurais éloigné quelques articles qui paraissaient ne pas convenir également aux 4 gouvernements et d’autres qui paraissaient ne pas pouvoir être exécutés immédiatement, en égard aux localités de quelques paroisses. À la séance suivante2 je présentai de nouveau le règlement ainsi modifié (j’avais omis 6 articles). On me fit de nouveau la lecture; et à mon grand étonnement on me reprocha de n’avoir pas exécuté l’ordre qu’on m’avait donné. Je nommai le contenu de quelques articles que j’avais biffés. Alors le Ministre me dit que ce n’était pas ce que j’aurais dû faire; que j’avais dû présenter non un règlement détaillé, mais simplement un plan qui ne contient que les points généraux; que le règlement ne pourrait se faire que lorsqu’on aurait levé toutes les difficultés de détail par l’intervention des autres autorités
Quoique Vous m’eussiez permis, Sire, d’être présent aux séances qui concernent cette affaire, néanmoins cette fois je n’usai point de cette permission par égard pour le Ministre, puisque c’était son ouvrage, non le mien, qui devait passer la censure de l’assemblée. Mais pour ne rien négliger de mon devoir j’envoyai à cette séance ma lettre adressée au Directoire, dans laquelle je me lave du reproche qui m’avait été fait et donne un résumé des raisons importantes qui parlent en faveur d’un règlement détaillé, espérant que, présentées avec ordre et sans interromption, elles feraient plus d’effet que dans le moment de la discussion.
La séance de Mardi a eu lieu, jusqu’à présent j’en ignore le résultat et il paraît même qu’on est convenu de me le tenir absolument secret. Tout ce que je sais, c’est que le Ministre m’a renvoyé ma lettre avec une résolution dorsale signée: Directeur des affaires Jean Martinoff3.
Sire! Voilà les faits. J’ai cru Vous en devoir le narré pour qu’en tout cas Vous sachiez que depuis le 21 février la marche de cette affaire est changée. J’omets ce qui me regarde personnellement; je souffre déjà trop d’être forcé à Vous causer du chagrin pour la cause publique. Sire! Continuez à la soutenir. Je Vous en supplie, les yeux mouillés de larmes.
Parrot
51. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg], 18 mars 1805
Sire!
Le moment décisif pour les écoles paroissiales approche. Dans quelques heures Vous prononcerez sur cet objet si important. Pardonnez-moi l’inquiétude que j’éprouve; j’ignore encore tout ce qu’on Vous proposera. S’il est impossible que j’en sois informé avant la décision, Sire, daignez relire l’exposé que je Vous donnai au commencement de janvier, pour Vous en rappeler les détails qui naturellement pouvaient Vous échapper confondus dans la foule d’objets que Votre Empire Vous offre.
Permettez-moi au même temps de Vous rappeler l’objet des requêtes. Il est d’une bien grande importance; chaque jour m’en donne de nouvelles preuves.
Sire, je conçois, je sens qu’il doit Vous en coûter de m’écouter. Vos bontés pour moi choquent le vulgaire des Grands qui me connaissent assez mal pour me craindre. Lorsque ces deux objets seront terminés je rentrerai dans une cellule, heureux et content des souvenirs précieux que j’y emporterai, heureux surtout pour la médiocrité de ma situation que rien au monde ne me fera changer.
Vivez heureux, Sire! Faites tout le bien possible, et veuille la providence armer Votre cœur contre la douleur de ne pas pouvoir faire tout le bien que Vous voulez faire.
Continuez à aimer
Votre Parrot
52. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg], 20 mars 1805
Sire,
Il m’en coûte au-delà de tout ce que je puis Vous dire de Vous importuner de nouveau. Mais l’objet est pressant et douloureux pour moi quoique de moindre importance que les écoles paroissiales.
J’ai enfin appris une des raisons qui font que l’on me cache le résultat de la dernière séance de Directoire. Il est question d’envoyer à Dorpat une commission pour faire la révision des bâtiments de l’Université; c’est à présent qu’ils sont à peine au tiers de leur exécution qu’on veut nous faire cet affront inouï qui nous perdra dans l’esprit du public dans un moment où l’Université a tant besoin de l’estime des provinces pour consommer l’ouvrage de l’instruction publique qu’elle a commencé avec tant de succès. Sire! Nous rendons chaque mois à notre Curateur un compte détaillé de nos bâtiments; chaque millier de briques, chaque poutre, chaque planche, chaque journée de travail est indiquée et calculée. Le Curateur a vu les travaux, les a examinés et a fait son rapport. Quand l’ouvrage sera fini, qu’on fasse, Sire, des examens tant qu’on voudra; qu’on envoie des commissions s’il le faut. Mais nous troubler au milieu de l’exécution, mais décourager l’honnête Krause et toute l’Université, c’est un outrage qu’on ne se permet pas à l’égard du plus simple architecte de Pétersbourg, malgré qu’on connaisse assez les profits immenses que ces gens-là font.
Sire! je Vous supplie de m’entendre là-dessus. Accordez-moi encore quelques instants. J’ai tant de choses à Vous dire! Ces moments ne seront pas perdus pour le bien public. O que ne puis-je Vous tout dire sans Vous voir! Quelques délicieux que soient pour moi ces instants que je passe avec Vous, je les sacrifierais volontiers pour ménager des préjugés qui Vous font souffrir. Mais en m’entendant à présent Vous Vous épargnerez des désagréments pour l’avenir. J’espère Vous faire des propositions capables de tout terminer à la fois. Mon Héros! Mon Alexandre! Soyez sûr que je n’abuserai pas de Vos sentiments pour moi, Votre Cœur Vous en avertirait à l’instant. Je suis à la lettre
Votre Parrot
53. Alexandre IER à G. F. Parrot
[Saint-Pétersbourg, 28 ou 29 mars 1805]1
Je regrette beaucoup de n’avoir pris en un moment à moi tous ces jours-ci, pour Vous recevoir; mais je suis extrêmement occupé, dès que je serais un peu plus libre, je Vous verrai. En attendant, il n’a jamais été question d’envoyer une commission à Dorpat pour examiner les bâtisses, car Samedi passé j’ai donné l’ordre, qu’on débourse une somme de 100 000 R. pour cette année, pour subvenir à Vos dépenses extraordinaires.
Mais j’ai à Vous parler de choses, qui me peinent beaucoup. Il y a quelques jours, j’ai reçu un rapport sur les nouveaux désordres, commis par Vos étudiants2. Cela passe toute permission et il m’est impossible de tolérer des choses pareilles; ce n’est plus, comme Vous me l’avez dit, une ou deux têtes chaudes, c’est 50 à la fois qui ont commis les désordres les plus criants sans y être le moins du monde provoqués. Enfin personne ne me persuadera qu’avec une surveillance active on ne puisse prévenir et empêcher des choses pareilles. D’où vient qu’à Wilna ou Moscou rien de pareil n’arrive? L’éducation de Dorpat se recommande mal par des histoires dans ce genre. Si cela arrive encore, je serai obligé d’ôter la juridiction à l’Université, car encore une fois je ne puis tolérer des choses pareilles. Quant à Vous, je suis fâché que Vous pouvez Vous forger des inquiétudes sur mon compte: je suis et serai toujours le même.