Tout à Vous.
[Paraphe]
54. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg], 4 avril 1805
Sire!
J’ai été si profondément attristé du sentiment vif que les désordres des étudiants de Dorpat Vous ont inspiré que, pour Vous en épargner un souvenir inutile, je m’étais promis de ne pas Vous écrire avant d’avoir le bonheur de voir1. Mais je ne puis – Mon cœur me dit combien Vous avez dû souffrir à m’écrire là-dessus avec tant de sévérité. Je ne chercherai point à affaiblir les motifs de cette sévérité par les raisons que je pourrais avoir à alléguer. Vous êtes courroucé; je dois donc Vous épargner à l’avenir ce sentiment pénible. J’ignore si j’y réussirai. Mais j’y travaillerai et pour cet effet je briguerai pour le mois de juillet prochain la place de Recteur avec tout le zèle d’un ambitieux. Vous saurez alors ce qu’il est possible d’obtenir à cet égard et Vous nous jugerez. O si je parviens à Vous satisfaire tant soit peu je serai infiniment récompensé de ce sacrifice. En attendant, Sire, usez de clémence, et daignez Vous souvenir que si l’Université fait son devoir à tant d’autres égards, elle ne peut pas s’oublier de propos délibéré sur celui-là.
Sire! La manière dont Vous avez décidé sur nos besoins pécuniaires est une nouvelle preuve de la bonté ingénieuse que Votre cœur magnanime met dans tout ce qui nous regarde. Ce que Vous me dites sur moi-même cimente à jamais mes plus douces espérances. Daignez couronner Votre ouvrage en terminant bientôt l’objet le plus important de ma mission. Paques est à la porte; pardonnez mon empressement au sentiment de mes devoirs.
55. Alexandre IER à G. F. Parrot
[Saint-Pétersbourg, 8 avril 1805]1
J’ai reçu du Ministre le plan pour les écoles, et avec une opinion différente de plusieurs membres. Je suis à examiner le tout dès que la chose sera terminée, elle ne souffrira plus de retard. Vous Vous trompez beaucoup de me voir courroucé; sans l’être le moins du monde je suis ennemi déclaré du désordre et voilà tout.
[Paraphe]
56. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg], 13 avril 1805
Sire!
Depuis plus 15 jours je suis informé par Mr. de Novossilzoff lui-même des idées qu’il Vous a présentées par le Ministre sur les écoles paroissiales. La discussion que j’ai eue avec lui m’a paru ébranler un peu son opinion, elle n’a pas été assez longue pour le persuader. J’ai balancé tout ce temps à le réfuter parce qu’il m’en coûte d’être pour la première fois d’un avis diamétralement opposé au sien. Vous connaissez mon estime et mon attachement pour lui. Mais je tremble enfin que ses raisons ne Vous paraissent décisives, parce que dans le mémoire que je Vous ai présenté je ne supposais pas la possibilité qu’on partît du principe d’où il part. Pardonnez, Sire, à l’inquiétude qui me dévore jour et nuit le besoin que je sens de plaider encore une fois la cause des écoles paroissiales.
Le résumé de l’opinion de Mr. Novossilzoff est que les écoles paroissiales sont superflues et même nuisibles, et qu’il faut mettre en bon état les écoles primaires1. Les moyens qu’il propose sont pris dans la bonne volonté des seigneurs et dans une inspection détaillée et ferme de la part de l’Université.
Je crois avoir prouvé la nécessité d’une instruction précise au moins d’une partie de la classe des cultivateurs pour lui fournir des représentants réels dans les tribunaux et les autres emplois du commerce, et pour former des précepteurs pour les écoles primaires. Le plan que l’Université propose, le seul soutien possible de la constitution que Vous avez donnée au paysan2, fournira après certain nombre d’années les moyens de mettre les écoles primaires au niveau où Mr. de Nov. veut les avoir, et où je veux également, sans que la couronne ou la noblesse se charge des frais de cette partie importante de l’instruction.
Assigner l’instruction du paysan sur la bonne volonté des seigneurs c’est couper l’arbre à la racine. Depuis tant d’années chaque jour nous prouve l’impossibilité de réussir de cette manière. L’opinion de la majorité de la noblesse est décidément contre l’instruction d’une classe d’hommes qui n’est pour elle qu’une machine vivante. La bonne volonté de la petite minorité se trouvera écrasée comme toujours si elle n’est pas soutenue. Le seul soutien que Mr. de Novossilzoff lui donne consiste dans des ordonnances précises et dans la vigilance de l’Université. Or il existe du temps immémorial des ordonnances aux dernières desquelles la précision ne manque pas, et la Régence, la seule vraie autorité dans les provinces, était spécialement chargée de l’exécution. Le seul changement réel est donc que la vigilance de l’Université est substitute à celle de la régence. Voyons ce que l’Université pourra faire.
Les écoles primaires, en tant qu’entretenues par la noblesse seront regardées par ce corps comme sa propriété. Vous en avez des preuves authentiques dans les débats que l’Université a eus et a encore pour les nôtres écoles. Il faudra donc un acte d’autorité pour lui ôter cette idée de propriété; il faudra prescrire pour chaque terre la quantité et l’espèce de moyens à employer pour entretenir les écoles primaires et ces moyens seront dix fois plus grands que pour les écoles paroissiales; par conséquent le propriétaire se trouvera dix fois plus chargé; et même bien davantage. Car pour les écoles paroissiales je ne demande par paroisse qu’une seule maison et deux précepteurs dont l’un existe déjà. Pour les écoles primaires il faudra pour chaque paroisse dix maisons et dix précepteurs3. L’entretien des écoles paroissiales a déjà des fonds considérables auxquels il suffit des additions que j’ai espéré obtenir de Votre générosité pour les mettre dans toute leur vigueur. Les écoles primaires n’ont aucuns fonds assignés et tout leur entretien devient un impôt que la noblesse regardera comme exorbitant. La noblesse n’a pas l’ombre d’un prétexte de plainte contre l’érection des écoles parroissiales et nous n’aurons que des marées sourdes à combattre tandis que les écoles primaires exciteront les plus fortes réclamations.
Quant à l’exécution dont l’Université sera chargée, voyez, Sire, dans quelle mer d’obstacles on nous précipiterait. La Livonie seule contient au moins 600 propriétaires, tandis qu’elle n’a que 105 paroisses. Ainsi le travail est sextuple. Où trouver la quantité suffisante d’inspecteurs? Et quand on les trouverait, les sommes nécessaires pour leur appointements surpasseraient celles qu’il faut pour l’entretien des écoles paroissiales. Mais c’est là la moindre difficulté. L’Université se trouverait aux prises avec chaque propriétaire. La malveillance de la majorité se permettrait tout contre ces inspecteurs qui leur seraient d’autant plus odieux que leur emploi est en quelque sorte dirigé contre la bourse de chaque particulier. Ils seraient bafoués et maltraités à tout instant; ils réclameraient alors la protection de l’Université, et nous serions en guerre perpétuelle non seulement avec le corps entier, mais avec chaque individu. Et si dans le nombre de ces inspecteurs un seul, irrité par les indignités incalculables qu’on lui fera souffrir, s’oublie une seule fois, alors, Sire! des rapports effrayants voleront de Riga à Pétersbourg, l’Université sera responsable de ses employés, son existence même sera attaquée, et toute Votre constance, minée ainsi goutte à goutte s’épuisera enfin, ou Votre santé succombera aux chagrins qui en résulteront. Je l’avoue, Sire! sous ce point de vue l’existence d’un professeur de Dorpat est terrible. Vous savez si je m’effraie aisément des difficultés, mais je Vous avoue loyalement que ni mon courage ni mes forces ne suffiront à celles-là. Tout homme paie enfin son tribut à la faiblesse de la nature humaine, ne fut-ce qu’à celle qui nous vient de notre physique.
Sire! j’ai parlé avec toute la vérité dont je suis capable. Quoiqu’il arrive je ne quitterai point lâchement mon poste qui est malheureusement celui des écoles de campagnes, je lui sacrifierai mon amour pour ma science, la gloire littéraire à laquelle je crois avoir quelques droits. J’y mourrai consumé d’efforts inutiles à l’humanité; je Vous appartiens —
Parrot
Peut-être cette lettre ne fait pas face à toutes les raisons de Mr. de Novossilzoff. Si cela est, mettez-moi aux prises avec lui, en Votre présence; si j’ai tort je serai le premier à lui céder; je ne puis vouloir que le bien public. O mon Alexandre! ne Vous fatiguez pas de ma constance.
57. Alexandre IER à G. F. Parrot
[Saint-Pétersbourg, 17 avril 1805]1
Je joins ici le Doclad présenté par le Comité de l’instruction publique, de même que l’opinion de M. de Novossiltzof à laquelle plusieurs membres se sont rangés. Vous verrez que tous communément rejettent le projet de prendre les écoles paroissiales aux frais du Gouvernement. Les raisons citées sont très délicates surtout dans le poste où je me trouve. Vous verrez aussi que l’opinion de Novossiltzof n’est pas précisément ce que Vous m’en dites dans Votre lettre, quelques-unes des raisons qu’il cite sont assez fortes2.
Tout à vous.
[Paraphe]
Renvoyez-moi tous ces papiers après les avoir lus, et dites-moi ce que Vous en pensez.
58. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg], 18 avril 1805
Ange tutélaire de l’humanité!
Vous avez ramené l’espoir dans mon cœur navré. Je Vous en remercie de toute mon âme, au nom des 9/10 de Vos sujets – de Vos frères1. Nous triomphons.
Je reçus hier Votre message à I heure et demi. Je passai l’après-midi jusqu’à XI heures à faire traduire toutes les pièces en ma présence par Roth