Кафедра и трон. Переписка императора Александра I и профессора Г. Ф. Паррота — страница 46 из 183

Parrot

68. Alexandre IER à G. F. Parrot

[Saint-Pétersbourg, 25 mai 1805]1


J’avais espéré Vous donner un de ces après-dîner mais l’arrivée de courriers et finalement celle de Novosiltzof m’en a ôté tout moyen; enfin demain je puis Vous recevoir et Vous attends à 5 h et ½ après-dîner.

[Paraphe]

69. Alexandre IER à G. F. Parrot

[Saint-Pétersbourg, 26 mai 1805]


Des affaires qui me surviennent inopinément causées par le départ de Novosiltzof1 m’obligent de différer notre entretien jusqu’à demain après-dîner à la même heure.

Tout à vous.

[Paraphe]

70. G. F. Parrot à Alexandre IER

[Saint-Pétersbourg], 27 mai 1805


Sire!

Dans une de mes lettres précédantes je Vous ai dit que la lutte que Vous avez entreprise contre la corruption et la malveillance n’a pas encore tourné à Votre avantage. Permettez-moi quelques détails à cet égard; car je hais l’étalage de principes généraux qui, sans leur application immédiate, ne sont que des formules passagères, inutiles, souvent nuisibles, à celui qui veut les employer.

La situation géographique de Votre capitale Vous a placé à une extrémité de l’Empire. Votre situation morale et politique Vous éloigne encore davantage de son intérieur. Pendant les 5 mois que je suis ici j’ai travaillé à entrer dans cet intérieur en observateur arrivé d’une seule passion de son amour pour Vous. Ce sentiment seul pouvait me faire la loi de sortir sans éclat de ma sphère pour Vous faire lire quelques pages d’un livre hiéroglyphique qui contient le sort de Votre Empire, d’un livre dont les fragments ne se trouvent que sur la physionomie morale de l’empire et de ceux qui le gouvernent sous Vous.

Les signes auxquels j’ai reconnu la supériorité de l’esprit des grands sur Vos vues pour l’humanité sont l’esprit public et la retraite, lente, mais prononcée de Vos amis. Dès que Vos vues pour le bien de gros de la Nation furent connues on vit presque de tous les coins de l’Empire paraître des hommes dévoués à Vos principes. De tout côté on proposait l’affranchissement des paysans, soit en masse soit par portions. La persuasion et la vanité, l’amour du bien public et l’espoir de l’ambition, travaillèrent. Ces efforts furent couronnés de quelques succès éphémères. – Aujourd’hui ces idées ne sont plus à l’ordre du jour. Vous ne recevez plus d’adresses de ce genre, et la Livonie même Vous remercie d’avoir fondé le bonheur du cultivateur sans faire tort au gentilhomme!!! La cause que Vous défendez n’existe plus. Pourquoi? Parce que Vous ne la défendez plus; et Vous avez cessé de la défendre, non en théorie, non faute de le vouloir (car Votre cœur est toujours le même!), mais faute de secours. La résistance que le Directoire de l’instruction publique m’a opposée (il ne s’agissait que d’un coin de l’Empire) n’est pas la résistance de la persuasion, mais celle de la crainte. Je ne parle pas de ceux qui sont assez pusillanimes pour être jaloux de la confiance dont Vous m’honorez, je parle de ceux qui aiment le bien public et Votre personne, mais à qui l’opposition en impose. Ils sentent les progrès de cette opposition. Ils sentent que Votre règne, fortement prouvé dans ses vues, ne l’est pas assez dans ses moyens. Ils sentent que les grands ont abusé des idées trop peu populaires de l’Impératrice-Mère pour former à son insu un parti, qui répugnera à son cœur maternel dès qu’Elle le connaîtra, mais qui n’aura plus besoin d’Elle, dès qu’il se sera renforcé à son insu et par Elle-même1. Votre parti, le parti de la raison et de l’humanité, plie de tous côtés, il compose déjà avec l’ennemi, et ces rapprochements, qui, dans d’autres circonstances, seraient de bon augure, prédisent la ruine de la bonne cause, parce que dans ce cas-ci, les cessions ne sont pas réciproques. L’ennemi est en possession. Vous voulez le déposséder, et Vous avez suivi le système de la défense plus que celui de l’attaque!!!

Catherine, dont le génie féminin gouvernait les hommes, attaquait les grands et leurs préjugés, elle qui avait tant de raisons de se tenir sur la défensive. Elle a multiplié la noblesse soi disant de mérite, elle a choisi tous ses favoris dans des familles ignorées, a anéanti par là cette terrible race des boyards que Pierre n’avait que terrassée. Ses armées l’adoraient comme femme, et parce qu’elles étaient commandées pour ses créatures qu’elle soutenait avec énergie. Mais ses vues trop personnelles ne pouvaient procurer le succès qu’à Elle, non à la cause de l’humanité. Aussi Vous a-t-elle laissé une hydre plus puissante que celle qu’elle a combattu; ses créatures et leurs fils sont devenus boyards. Paul Ier a rendu le soldat trop puissant en lui faisant trop sentir son importance, et Vous voilà avec Vos principes, avec Votre amour ardent de l’humanité, vis-à-vis de l’opinion publique et d’une armée mécontente, sans autres moyens hors de Vous que trois ou quatre hommes dont le génie trop peu transcendant ne suffira jamais.

Vous devez sentir combien je souffre à Vous tracer ce tableau, qui serait bien plus terrible encore, si je le chargeais des couleurs sombres que les détails de l’administration et le département de la justice m’offriraient. Mais dois-je me taire? Dois-je voir sans cesse les palliatifs employés, servant plus à Vous rassurer qu’à guérir le mal?

Je Vous ai parlé de l’armée. Vos aides de camp, plus empressés de Vous étaler des automats élégants et bien dressés que de créer des soldats se garderont bien de Vous faire connaître l’esprit de ce corps redoutable. Ils ne Vous diront pas que le système du petit exercice, introduit par Paul Ier, a produit le mécontentement, mal contenu alors même par la terreur. Encore sous ce Monarque absolu l’officier partageait cette terreur bien plus que le soldat. Aujourd’hui c’est le contraire; l’officier tyrannise le soldat pour des vétilles, et l’odieux de ces procédés retombe en partie sur Vous, précisément parce que le soldat Vous croit occupé des idées qui font son malheur. Sire! ne Vous méprenez pas à l’exemple de Frédéric II. Ce grand Monarque s’occupait il est vrai d’uniformes et d’exercice. Mais il formait une tactique nouvelle, qui seule pouvait faire face aux forces supérieurs de l’Autriche, de la France et de la Russie. Cette nouvelle tactique est à présent la propriété de toutes les puissances; quelque dextérité de plus ou de moins ne décidera pas aujourd’hui du sort des empires, mais l’esprit du soldat en décidera. J’ai vu les sans-culottes français formés en six semaines et battre à nombre égal ou inférieur les anciennes armées si renommées par leur tactique. Que le soldat soit orgueilleux d’être russe, qu’il adore son Monarque et qu’il aime son État; alors la discipline et la dextérité viendront d’elles-mêmes, et il battra l’ennemi, sans ce système de coups, qui énerve et aigrit. Une méthode opposée en fait des prétoriens, des janissaires, des streltsy, tout au plus des indifférents au sort du Monarque.

Je retourne aux idées générales; après avoir vu le mal, cherchons les sources du bien. C’est me rapprocher de Vous. Je veux saisir Votre âme, je veux Vous faire voir tout ce que Vous pouvez, je veux Vous détailler les ressources de Votre propre génie, et ensuite Vous indiquer les premiers moyens à employer.

Je ne trompe pas sur Votre personne. Vos actions, quand Vous avez eu le bonheur d’agir par Vous-même, l’effet marqué que mon premier discours a fait sur Vous, le trait de mélancolie, qui malgré Votre jeunesse fait le fond de Votre caractère, et plus que tout cela, mon cœur qui ne sait pas se donner à qui ne le mérite pas, tout me dit, tout me prouve que la nature a voulu faire de Vous un Être unique par cet amour dévorant du bien qui ne Vous quitte pas dans aucune situation de la vie. Cet amour du bien est pour Vous le fatum, le destin de l’ancienne mythologie, la nécessité absolue qui commande à Votre âme, comme à l’Univers. Reconnaissez sa force, son invincibilité. Employez ses ressources, et persuadez-Vous bien que dans une âme forte vouloir c’est pouvoir. Voyez le génie malfaisant de la France. Il peut tout ce qu’il veut. Et il ne veut pas même le bien!!! Vous avez plus de ressources que lui, et ces ressources sont dans Votre moralité. Vous n’avez contre Vous que la perversité des grands. Lui a contre lui l’opinion de la France et de l’Europe. Il est haï généralement; Vous êtes idolâtrés des gens de bien. Son levier si puissant est cette volonté décidée qui se ferait jour à travers les ruines du genre humain, Vous n’avez à marcher que sur les ruines des méchants. Vous devez donc faire plus que lui, et la postérité Vous reprocherait avec raison Votre défaite.

Voilà Vos moyens intérieurs. Jetons les yeux sur Vos alentours. Je les distingue en trois classes. La 1e est celle des jeunes gens qui ne songent qu’à Vous amuser pour profiter de Votre facilité. Vous sentez qu’ils sont indignes de Vous. Ils ne cadrent ni au caractère de moralité intérieure qui Vous distingue si fort d’autres, ni au caractère extérieur, que l’Europe reconnait en Vous. Leur lutte contre le bien est peut-être plus puissante que celle des aristocrates déclarés, parce qu’elle est sourde, et que peut-être eux-mêmes ne savent pas combien ils visent au mal2.

La seconde classe est celle de Vos confidents. À ne consulter que le caractère Vous avez généralement bien choisi, preuve que Votre cœur est un guide sûr, mais leur génie ne fait pas prendre l’ascendant sur les événements; ils plient sous l’ennemi, crainte de tout perdre; ils fléchissent vis-à-vis de Vous, crainte de Vous aliéner. Et Vous avez Vous-même fomenté cette faiblesse en ne les soutenant pas avec assez de vigueur. Vous avez trop distingué la vraie grandeur du faste. Vous avez cru qu’en leur accordant Votre confiance (certainement le présent le plus honorable que Vous pouviez leur faire), ils pourront Vous dispenser des distinctio