ns extérieures que Vous abandonnez à ceux qui n’ont de sens que pour elles. Ils le voulaient aussi; mais c’est à tort. Sire! Croyez-en à un homme qui a renoncé bien fermement à ces distinctions; je Vous parle d’autrui, de ces personnes que mes derniers travaux m’ont aliénées. Vous Vous êtes trompés en tenant ces hommes qui se dévouent à la chose publique dans une médiocrité qui excite le mépris des grands, des grands qui, ici et partout ailleurs, n’adorent que la puissance, que dis-je? pas même cela, mais les signes de la puissance! Czartorysky a commis une faute d’État en refusant un cordon. Aucune nation, la Vôtre moins que toute autre, n’est sensible à la seule grandeur morale. Bonaparte crée des ordres3, et avant lui le gouvernement républicain avait imaginé des cordons démocratiques pour les autorités constituées. On les appelait écharpes. Voulez-Vous seul créer un gouvernement purement moral au sein d’une nation qui n’a encore que des yeux? – À la tête de ces confidents de l’Empereur de Russie est – Alexandre. Cet homme pur connait la faute qu’il commet lui-même à cet égard et ne la répare pas! Il préfère la vie d’un philosophe sur le trône, à la vie d’un Monarque philosophe. Est-ce assez de sauver sa moralité personnelle, quand on a un Empereur à sauver?
La troisième classe de Vos moyens extérieurs est un très petit nombre d’hommes intègres que Vous voyez rarement. J’ose me compter de ce nombre, et si après la connaissance intime que Vous avez de moi j’avais encore quelque chose à Vous dire sur mes principes et sur mes vues, je ne mériterais pas le bonheur de Vous avoir abordé une seule fois. Mais à la tête de cette classe d’hommes intègres je vois Klinger, celui de tous qui Vous est le plus nécessaire, par son caractère ferme qui, à Votre cour, n’a point de second. Je le connais depuis 2 ans dans ses relations officielles et je l’ai observé pendant 8 mois jour pour jour, en robe de chambre. Ses deux défauts, un excès de vivacité envers ses amis, et le pédantisme de l’ordre, ne nuiront pas. Au contraire, le premier est garant de sa sincérité, le second, en luttant contre le défaut contraire de Vos autres amis, mettra un juste milieu dans la précision qui doit régner dans les affaires, même dans celles qui forcent à des exceptions aux règles générales. Klinger a le double avantage de voir les hommes et de se former dans la solitude, il s’est formé des principes, qui sont dans son âme plus que dans sa bouche, et ces principes sont un trésor dont Vous pouvez disposer à tout instant dans les cas difficiles. Admettez-le au nombre de ceux que Vous voyez habituellement; que Votre porte lui soit ouverte à toute heure, et forcez-le par là à Vous dire plus de choses que Vous ne lui demandez.
Que ce langage ne Vous soit pas suspect! Il n’a pas le talent de se faire des amis; si je suis le sien, c’est sûrement par une conviction bien forte. Ces jours-ci encore il m’a brusqué avec dureté, et je m’en applaudis en ce moment pour que mon sentiment ait pour Vous tout le poids que je désire. Vous rapprocher de cet homme rare
Une autre mesure du moment est l’établissement du Comité des requêtes. C’est le seul remède possible à appliquer au besoin urgent d’une meilleure justice. En vain Vous faites faire à la hâte un code de lois4. Supposant qu’il réussisse, les hommes Vous manqueront encore pour l’exécution, dans toute l’étendue de Votre Empire. Ce remède il est vrai ne tarira pas la forme du mal qui ne cessera que dans les générations futures, mais il réparera bien des maux individuels, forcera les autorités à plus de vigilance, et en prononçant Votre amour pour la justice d’une manière plus décidée, intéressera fortement toute la nation à son chef.
En outre, le Comité des requêtes ne diminuera pas seulement d’une manière directe Vos travaux personnels sans faire tort à l’individu, mais aussi d’une manière indirecte, en Vous mettant dans la possibilité de Vous décharger sur le ministère de mille détails qui doivent Vous offusquer, sûr que les fautes commises parviendront sans détour à Votre connaissance. Ainsi ce comité augmentera Votre confiance en Vos Ministres, confiance qui Vous est nécessaire et que Vous leur devez tant qu’ils sont en place, sans pour cela Vous interdire Vos autres moyens. Quand il sera établi, fréquentez quelquefois ses séances pour tenir ces travailleurs en haleine, pour voir des subalternes ouvertement, d’une manière qu’on ne puisse pas Vous reprocher comme on Vous reproche Votre amitié pour moi.
Visitez les tribunaux. Vous Vous l’êtes
Enfin, Sire, comme l’art de régner ne peut pas se faire sans ménagement, quelque vigueur qu’on mette
Dieu tout-puissant! Protecteur des hommes! J’ai parlé à un Monarque ami des hommes. J’ai franchi toutes les barrières que l’ordre des choses avait mises entre Lui et moi; je l’ai fait parce que je L’aime. Tu m’as soutenu dans la carrière courte mais difficile que tu m’avais tracée à mon insu. Je l’ai parcourue selon mon cœur. Arrivé à sa fin je suis prêt à comparaître devant toi pour rendre compte de chacune de mes actions; ce sentiment sublime me dédommage d’une vie entière vouée aux épines de la vertu. Je ne te demande rien pour moi. Mais je t’implore pour mon Alexandre. Tu sais ce qu’il lui faut. Accorde-le lui pour qu’il justifie les décrets de ta providence et tes vues sur l’humanité!
lu à la dernière entrevue, le 27 mai au soir.
71. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg, 28 mai 1805]1
Sire!
Je ne puis oublier notre dernier entretien. D’un côté il m’offre de Votre cœur le tableau le plus grand, le plus beau que l’histoire n’ait jamais offert. Vous voulez Vous dépouiller du pouvoir absolu que Vous avez hérité pour donner à Votre Nation une constitution représentative. Mais d’un autre côté je ne vois dans Votre idée que le projet d’une belle âme, qui Vous rendra malheureux, Vous et Votre Peuple. Je Vous ai déjà dit mes raisons; mais craignant qu’elles ne s’effacent, je m’empresse de Vous les détailler encore une fois avec plus de sang froid et de réflexion que je n’ai pu le faire de bouche.
D’abord je dois Vous rappeler la révolution française. Vous croyez, il est vrai, que si Vous donnez la constitution à Vos Russes, ils l’accepteront avec reconnaissance et n’exigeront pas davantage. Mais quel garant en avez Vous? La première constitution française était certainement à bien des égards excellente; mais le Français n’est pas susceptible de la constance que l’Anglais a témoignée pour la sienne. En France on passa de la constitution à la République par le meurtre du bon Louis XVI. Napoléon, qui vient de se mettre la couronne sur la tête2, gouvernera à la vérité en toute sûreté. Mais il a pour lui l’éclat de cent victoires, la manie des français pour la gloire, un caractère froid qui ne sait que calculer.
Ouvrez l’histoire moderne et voyez dans quel pays et sous quelles circonstances on vit naître la liberté. C’est dans les faits qu’il faut chercher la sagesse politique. – La Suisse s’est rendue indépendante au commencement du 14e siècle; mais elle avait les vertus du moyen-âge: la pauvreté, l’horreur du luxe et l’esprit de chevalerie. La Hollande a secoué le joug de Philippe II vers la fin du seizième siècle. Elle était déjà riche, à la vérité, mais elle avait la vertu du solide marchand, la simplicité de mœurs, qu’elle n’a pas encore tout à fait désordonnée. La révolution d’Angleterre, qui a duré 100 ans3 depuis Charles Ier jusqu’à Cromwell, est fertile en massacres et détrônements et n’a réussi que par la position insulaire de cet État. L’Anglais était alors à l’époque du passage de la barbarie à la civilisation et n’avait les vertus ni de l’une ni de l’autre.
Mais examinons un moment les éléments nécessaires à une constitution représentative, qui réunisse la liberté du peuple à la fermeté d’une administration monarchique.