Кафедра и трон. Переписка императора Александра I и профессора Г. Ф. Паррота — страница 48 из 183

Le premier de ces éléments est ce qu’on nommait en France le tiers-état, c.à.d. de nombreuses villes peuplées de bourgeois, gouvernées intérieurement par une constitution municipale, et un corps de cultivateurs qui n’appartiennent qu’à eux-mêmes et tout au plus attachés à la glèbe. Avez-Vous ce tiers-état en Russie? Vous avez des villes, à la vérité; mais la majeure partie de leur population est composée de serfs à qui les seigneurs permettent de s’établir où ils veulent moyennant l’Obrok. Ces gens-là ne sont pas des citoyens; ce ne sont pas des bourgeois de Hambourg, de Lubeck, Danzig, Frankfort, Amsterdam, Paris, Marseille, Rouen, comme on les trouvait au quinzième et seizième siècle. Ils sont la propriété des seigneurs qui peuvent les précipiter du faîte de leur bien-être actuel en les renvoyant à la charrue.

Une autre condition qu’une constitution représentative exige, c’est qu’elle ressorte des lumières et des besoins physiques et intellectuels de la nation; c’est à dire qu’elle se fasse d’elle-même et lentement; et je suis persuadé que la Russie aura besoin d’un siècle encore pour y parvenir, si tout est que cet assemblage disparate de nations et de peuplades soit susceptible d’une constitution hors celle qui égalise tout. Ne Vous aveuglez pas sur les lumières des Russes; le peuple n’a encore rien de la civilisation nécessaire, et ce qu’on nomme la partie éclairée de la nation n’offre que l’aspect des lumières entées immédiatement sur la barbarie et n’est pas capable d’une révolution pacifique. Pierre Ier en est cause; il a proprement mis le feu à la civilisation des Russes. Catherine II est entrée dans ses vues et Vous a laissé au lieu d’un granite poli un morceau de bois vernissé. Vous par contre avez pris le meilleur parti, celui d’instruire solidement Votre nation et de donner des mœurs à ceux qui la gouvernent. Tenez y ferme et n’oubliez pas le défaut interne des Universités russes, que je Vous ai décelé, qui éloigne la confiance et favorise le demi-savoir4. Rappelez-Vous les idées que je Vous ai communiquées lorsque Vous Vous croirez à même de détruire Votre propre ouvrage pour le refondre.

Le troisième élément nécessaire à une constitution représentative, c’est le respect pour la loi. Vous la trouverez peut-être jusqu’à un certain point dans le gros de la nation russe, mais sûrement pas dans ceux qui la gouvernent, depuis le ministre jusqu’au copiste de chancellerie. Or ce respect pour la loi ne peut naître que de la stabilité des lois. Le Monarque est en Russie la source des lois. Mais il faut qu’elle ne coule que lentement et dans un lit bien limité. Si elle se dissémine en ruisseaux, si elle prend des directions opposées, alors elle perdra son apparence et sa pureté et ne formera qu’un marais. Vous voulez former un code de lois russe et Vous avez bien raison. Dieu veuille qu’il atteigne le but de faire respecter la loi! Mais Vous sentez de toute façon que, même après que Vous aurez Votre code, il faudra du temps pour l’effet que Vous en attendez. Ce respect est une coutume et les coutumes ne viennent que lentement.

Ces raisons réunies doivent, Sire, Vous engager à conserver la constitution despotique; non comme Votre propre héritage, mais comme l’héritage de Votre nation. Qu’elle Vous soit sacrée aussi longtemps qu’elle sera nécessaire! Travaillez cependant à inculquer à Votre peuple ces lumières douces et solides qui éclairent sans éblouir. Vous ne travaillez pas pour la gloire mais pour le bien. Ainsi contentez-Vous, mon Héros! de donner à la Russie le bonheur dont elle est susceptible sous Votre règne, et la postérité Vous rendra sûrement justice si les contemporains Vous la refusent. Ne m’objectez pas ce que je fais moi-même pour assurer la personne et la propriété du paysan livonien comme un fruit prématuré d’après mes propres principes. Le mot de liberté ne sera pas prononcé dans cette affaire, mais elle sera la source du bonheur de ce petit peuple.

Regardez, ô mon Alexandre! cette lettre comme une espèce de testament. Qui sait quand j’aurai le bonheur de Vous revoir?

Tout entier Votre Parrot

72. G. F. Parrot à Alexandre IER

[Dorpat], 5 juin 1805


Sire!

Me voilà rentré dans ma cellule, rendu à mes devoirs primitifs. J’y ai apporté une masse de bonheur immense, dont Vous, Vous seul êtes la source. Mon séjour à Pétersbourg m’apparaît comme un de ces rêves délicieux qu’on ne quitte qu’à regret en s’éveillant, qu’on voudrait prolonger, échanger contre la réalité. J’ai oublié tout ce que j’ai souffert; je ne vois plus que mon Alexandre, cet homme chéri, qui sait aimer les hommes, qui m’aime! Mon Bienfaiteur! Mon Héros! M’aimerez-Vous toujours? – C’est un blasphème de Vous faire cette question, après cette soirée délicieuse, unique, où nos âmes pour la dernière fois s’épanchèrent l’une dans l’autre avec cette effusion sans bornes dont la nature nous a rendue capables. Oui, je le sens, Vous m’aimerez, tant que la vertu sera mon idole. Elle est le Vôtre, et Votre cœur, le plus pur autel que la nature lui ait élevé, conservera le souvenir de Votre ami. – Je suis heureux; la seule prière que j’aie à Vous faire, c’est que Vous ne cherchiez jamais à changer les relations extérieures où nous nous trouvons l’un envers l’autre. Conservez-Vous pour toujours un ami sur lequel les événements n’aient point de prise, qui ne puisse jamais Vous paraître suspect, un ami qui Vous reste sous tous les rapports, qui puisse toujours fixer Vos regards non seulement avec la candeur de l’innocence mais aussi avec une confiance absolue. Vous savez qu’il n’existe point d’amitié sans égalité; le seul moyen d’établir cette égalité sublime est de ne point violer les relations que le sort a fixées. En m’élevant Vous me rabaisseriez. Que même l’idée du bien public, l’idée que dans un poste plus relevé je serais plus utile, ne Vous séduise pas. Elle ne me séduira pas, et à cet égard Vous trouverez toujours une résistance absolue de ma part. Il est un seul cas qui puisse faire l’exception, celui dont j’osai déjà autrefois Vous parler, celui de vaincre ou de mourir à Vos côtés. S’il arrive jamais un mot de Vous! et je volerai au poste que les circonstances, que mon génie, que mon amour pour Vous m’assigneront, et Vos ennemis verront dans le professeur de Dorpat le Bonaparte de l’amitié. – Pardonnez-moi cette énorme confiance en mes forces. Tant qu’il a fallu agir pour la seule prudence j’ai souvent tremblé pour le bien public, mais quand il faudra forcer les circonstances, commander aux événements, Vous me reconnaîtrez. O mon Bien-Aimé!

Le lendemain de mon arrivée j’ai été élu Recteur. J’ai un plaisir bien doux en songeant qu’en signant la confirmation Vous sourirez1, j’ai un plaisir bien doux encore de penser que quand mon année sera révolue Vous aurez de la satisfaction de cette signature. J’agirai dans Vos principes. Je ferai mon possible pour former Votre jeunesse comme Vous voulez l’avoir, aimant l’ordre, mais conservant une noble énergie dont Vous tirerez un jour profit pour le bien de l’État. Les derniers troubles de nos étudiants m’ont prouvé combien Vous pouvez attendre de cette énergie que la nature a mise dans la jeunesse, lorsqu’elle est bien dirigée. Le jeune Budberg, que la loi a frappé comme l’auteur de derniers excès, que nos Statuts ont banni de l’université et éloigné pour l’avenir des emplois qu’il ne peut obtenir que par un séjour prescrit à l’université, ce jeune homme est innocent. Il s’est chargé volontairement de la faute pour sauver un de ses camarades dont le malheur eût plongé une famille entière dans le deuil, il est soumis sans mot dire à la punition, et quand tout a été terminé, en prenant congé d’un de nos professeurs il lui dit: Je quitte l’Université et ma Patrie avec le sentiment de mon innocence et d’une bonne action; partout où il y a des hommes je saurai trouver des hommes et vivre pour le bien public. – Une vie exemplaire de près de 3 ans, exemplaire par les mœurs et l’application prouverait suffisamment la vérité de son héroïsme, quand tous ses camarades ne l’attesteraient pas. Sire! ne croyez pas que j’improuve la sévérité du jugement qui le condamne. Même connaissant moralement son innocence j’aurais satisfait aux lois et aux formes judiciaires, je l’eusse condamné, ne fût-ce que pour ne pas lui ravir le sentiment délicieux de se sacrifier à l’amitié. Une action pareille à l’âge de 20 ans décide pour la vie, et c’est un homme que nous gagnons à l’humanité, supposant même qu’il fût perdu pour nous.

Klinger aura bientôt le bonheur de Vous voir; il ne sait pas quel bonheur plus grand l’attend: mais je sais que Votre cœur généreux fera les avances, que Vous Vous approprierez cet homme rare, dont les abords sont difficiles, mais dont l’âme est sensible et noble. Vous serez satisfait de son rapport sur l’Université et nos écoles, et Vous ne Vous reprocherez pas un peu de prédilection pour nous. Il Vous apporte cette lettre et Vous la fera tenir par Gessler.

Je jette un regard plein de hautes espérances sur Vous et Votre vie. Je ne demande plus à la Providence que d’en prolonger le cours. Vous ferez le reste, et Votre Parrot sera heureux dans la contemplation de Votre règne, sûr que Vous êtes armé de force contre toutes les espèces du mal moral. Vous serez grand, Vous serez heureux comme je Vous le souhaite.

73. G. F. Parrot à Alexandre IER

[Dorpat], 11 juin 1805


Sire!

Mes espérances se réalisent. Vous avez déjà visité un des asiles de la misère humaine, et Votre présence aura sûrement versé dans le cœur de ces malheureux un baume salutaire qu’aucun art ne peut égaler. Vous ne pensiez sûrement qu’à voir, qu’à corriger les abus ou encourager ceux qui vouent leur vie au pénible emploi de soulager le pauvre dans ses souffrances. Vous avez sûrement fait bien davantage. Je Vous vois parcourir ces salles, aborder le lit des malheureux, interroger tout avec intérêt. Je vois sur Votre visage cette expression (que je connais si bien) de la profonde sensibilité de Votre cœur. Avez-Vous lu sur ces physionomies souffrantes l’effet que Vous faisiez? Avez-Vous senti combien Vous soulagiez leurs maux? Pourrais-je en douter? O je Vous en prie, écrivez-moi là-dessus. Peignez-moi sans détour de modestie, sans retenue le sentiment qui occupait Votre âme. Pourquoi de la modestie? Vous ne Vous peindrez jamais Vous-même aussi beau que je Vous vois. Vous avez vu dans cet hôpital toutes les espèces de maux auxquels l’humanité est sujette, maux physiques, maux intellectuels, maux moraux. Partout Vous aurez laissé des traces de Votre présence. Si Titus eût visité un seul hôpital dans cette journée qu’il déclare perdue, il n’eût pas dit le mot fameux que l’histoire nous a conservé, et qu’un Monarque devrait à jamais se reprocher