Кафедра и трон. Переписка императора Александра I и профессора Г. Ф. Паррота — страница 49 из 183

1.

Je ne suis plus à Pétersbourg pour travailler aux affaires chères à Votre cœur, infiniment chères au mien. Mais Vous y êtes. Vous n’oublierez pas que toutes mes espérances, que toute ma confiance se concentre en Vous. Employez Klinger afin que les deux mois d’absence de Ministre ne soient pas perdus.

Je Vous salue de toute mon âme, mon Héros. Je Vous aime – bien plus que moi-même.

Parrot


Un mot, je Vous supplie, sur l’objet de la lettre que je Vous écrivis au moment de mon départ. Je ne puis sans cela rendre mes comptes à temps. Pardonnez-moi cette demande, comme j’espère que Vous m’avez pardonné la prière, que Vous me l’accordiez du moyen2.

74. G. F. Parrot à Alexandre IER

[Dorpat], 10 juillet 1805


Sire,

Je suis toujours occupé de Vous. Mon cœur et ma tête rapportent à mon Bien-Aimé tout ce que je sens, tout ce que je fais. Vous songez aussi à moi, à nos entretiens. Mon cœur me le dit. Mais Vous ne m’en dites rien. Je n’ai pas encore un mot de Vous. Vous me laissez dans l’incertitude sur ce que Vous faites; et comme je ne puis me désister (il faudrait que je cessasse de Vous aimer et d’aimer la vertu) je me vois forcé de Vous rappeler des choses que sans doute Vous Vous rappelez Vous-même. Mon Alexandre! Conservez tout le mérite de nos relations. Votre cœur en est la première source.

Je connais, il est vrai, Vos nombreuses occupations. Mais Vous Vous devez à Vous-même, à Votre place, des moments de recueillement, où, détachée de tout ce qui Vous environne, Votre âme plane au-dessus de Votre Empire, s’éloigne des objets pour en saisir mieux l’ensemble. Ce sont quelques-uns de ces moments que je réclame pour moi. Vouez en quelques-uns à l’amitié. Vous savez combien ils me sont sacrés. L’idée d’en abuser me ferait horreur. O mon Alexandre! quand on aime, toutes les passions se taisent.

Où en est le Comité des requêtes1? Si je n’aimais que Vous au monde, je Vous tourmenterais pour l’établir. Si je n’aimais que l’humanité, je Vous tourmenterais encore davantage. Jugez par là de ma conviction, de l’impatience que je dois éprouver des retards. Peut-être avez-Vous été arrêté par la mort subite de Roth, sur lequel nous avions compté. J’ai été profondément touché de ce malheur, et à présent même le destin de cet infortuné m’affecte singulièrement. Une cabale affreuse avait proscrit le père et flétri sa mémoire. À peine sorti de l’adolescence le jeune homme se confine dans l’intérieur de la Russie pour gagner de quoi sustenter son malheureux père. Sans liaison et sans protection il vient à Pétersbourg faire le métier d’avocat. Son talent lui procure ensuite la place de secrétaire du Gouv. G. Nagel. Celui-ci étant disgracié on lui donne la place de premier censeur à Riga après le vil Tumanskoy. À Votre avènement au Trône il demande une réforme de cette censure, dont la constitution inouïe le mettait sans cesse en contradiction avec ses principes. Ne pouvant l’obtenir il quitte sa place, et va à Pétersbourg reprendre son ancien état. Là je l’ai vu défendre les droits de l’opprimé et secourir de sa bourse le malheureux pendant des années entières – et ne faire que des ingrats. Le Ministre de la justice Dershawin s’adresse à lui pour faire le plan d’une nouvelle charge, celle des avocats de l’Empire. Une cabale le frustre d’une de ces places qu’il méritait à tant d’égards. Il a travaillé ensuite à l’acte de fondation de notre Université, comme interprète et traducteur. Enfin je me suis servi de lui pour les détails du plan du Comité des requêtes. C’est lui qui m’a instruit des formes existantes, qui a rédigé en partie et traduit tout le plan. – Au moment d’être placé d’une manière analogue à ses sentiments et à ses connaissances, au moment d’obtenir le prix d’une vie si agitée la mort l’enlève. Pardonnez-moi cette esquisse de la vie d’un homme malheureux, qui, après avoir travaillé si longtemps dans une carrière où tous ses confrères s’enrichissent, laisse à sa mort une veuve et 4 enfants dans le besoin, sans appui et menacée d’être dévalisée pas ceux-mêmes à qui son mari a été si utile. Je me devais ce témoignage sur sa vie, puisque je Vous avais fait connaître ses bonnes qualités que des hommes puissants, intéressés à le calomnier, ont tâché de noircir.

La place destinée à Roth dans le comité serait très bien remplie par le Comte Louis Plater, que je Vous eusse déjà proposé alors, si j’avais prévu qu’il se fixerait à Pétersbourg. Avant son arrivée je croyais qu’il restera en Pologne pour y prendre la direction des forêts. Mais comme Vous lui avez déjà conféré deux places, il ne pourra pas suffire à celle-ci. Néanmoins il serait très à désirer qu’un jeune homme de tout d’intégrité et de lumières fût employé à ce comité; pour cet effet je Vous prierai d’ajouter aux places désignées dans le § 2 une place de procureur, c’est à dire de surveillant. Je ne connais personne de plus propre à être ici Votre lieutenant. Je le connais depuis environ 7 ans. Il a combattu sous Kosciusko et sera à présent patriote russe. Il aime profondément les hommes et possède un sens exquis de justice et d’équité. Vous pourriez lui confier les premiers arrangements, conjointement avec le prince Galizin. La place destinée à Roth pourrait être remplie par un jeune Compte George Sivers âgé d’environ 27 ans, l’ami intime de Plater, orné de beaucoup de connaissances et plus mûri que son âge ne semble comporter. Il a été en quelque sorte mon élève pendant 2 ans à Dorpat, ayant déjà le rang de conseiller de collège. Il était autrefois Votre page, puis officier aux gardes; à présent il est en Allemagne d’où il reviendra cet automne après avoir amassé de nouveaux trésors de connaissances. Si Vous l’agréez, je hâterai son retour. En attendant sa place pourra rester vacante. Veuillez m’instruire bientôt de Votre volonté là-dessus.

Il y a bientôt 6 semaines que j’ai quitté Pétersbourg et l’affaire des écoles paroissiales n’est pas avancée d’un seul pas. Les dernières nouvelles de Riga m’apprennent que le Gouv.Gen. n’a pas encore communiqué le plan à la noblesse. Vous voyez que la chose traînera en longueur et c’est ce qu’on désire. J’aurais pu dans le temps me permettre bien des réflexions sur cette mesure qu’on Vous avait proposée2. Mais comme Vous l’aviez déjà acceptée lorsque je l’appris, je préférai compter sur Votre persévérance et laisser aux événements le soin de Vous instruire là-dessus. Au reste j’ai déjà pris des mesures pour diminuer en tant que possible la résistance de la noblesse.

La tournure que l’affaire des paysans a prise justifie et le plan que je Vous avais proposé pour leur nouvelle constitution, et les craintes que je Vous avais témoignées. Ma manière de voir n’était que trop juste. Pour avoir accordé trop de condescendance à la noblesse Vous allez avoir de nouveau le désagrément de recevoir de nouvelles réclamations sur les amendements que Sivers a obtenus. Buddenbrock et Gersdorf sont déjà en route à cet effet. Il n’y a aucun point fixe dans le travail des commissions3. Celle de Dorpat a même trouvé plus commode et plus expéditif de s’établir tout simplement en ville. Tout se termine très promptement et à la fois on Vous demandera un cordon pour cette preuve extraordinaire de zèle et d’activité.

Je suis navré à l’aspect de tout cela, plus pour Vous, mon Héros, que pour la chose publique; car enfin la providence saura venger les outrages qu’on lui fait. Mais Vous – Vous aviez mérité plus de succès.

«Priez l’Être suprême de m’accorder ce qui me manque» – tels furent Vos dernières paroles à notre séparation. O mon Alexandre! Que puis-je demander pour toi à l’objet de notre adoration? Je n’ai qu’une prière: qu’il Vous pénètre de Vos devoirs de despote. – Je souffre cruellement à Vous voir ainsi la proie d’un système de condescendance, qui assure à la perversité le second grand triomphe sur l’humanité, qui Vous prépare des remords qui devraient être inconnus à une âme sublime comme la Vôtre!!!

Dieu tout-puissant! Protège mon Bien-Aimé.

Je Vous presse contre mon cœur. Aimez toujours

Votre Parrot.

75. G. F. Parrot à Alexandre IER

[Dorpat], 10 août 1805


Sire!

Comment Vous remercier du nouveau bienfait que Vous nous avez accordé? Les circonstances sous lesquelles Vous l’avez fait font presque oublier le bienfait lui-même1. Mon cœur a tout calculé. Il n’y a que mon Alexandre qui puisse agir ainsi. J’ai annoncé cette nouvelle preuve de Vos bontés à l’étranger relativement aux mouvements guerriers qui doivent résoudre le grand problème de la situation des États de l’Europe, pour qu’on juge par là des forces intérieurs de la Russie. Mais, Sire, ce grand problème à la solution duquel Vous travaillez, ne se résoudra pas tout-à-fait de la manière que Votre Cabinet croit peut-être. Permettez-moi de Vous présenter dans le mémoire ci-joint les idées que m’a suggéré l’aspect présent de l’Europe. Vous m’avez permis autrefois de Vous parler sur cet objet si important. Je crois qu’il est de mon devoir de Vous fournir la continuation, et si j’ai tort dans mes vues, Vous me pardonnerez en faveur de motif. Il est vrai que je ne connais pas l’intérieur des cabinets. Mais cet intérieur mène rarement à des résultats solides. La vraie marche des affaires ne se règle pas sur des déclarations ou sur des intentions, mais sur les relations qui résultent nécessairement de la vraie situation des États, et pour juger de ces relations la connaissance des faits antérieurs suffit.

J’ai vu le célèbre Franck à son passage. On désire l’employer à Pétersbourg; et l’on a raison. Mais il ne pourra être vraiment utile qu’en le faisant directeur général du département médicinal. Le charger d’une branche particulière c’est ne rien faire, et l’on devrait être charmé de posséder un homme sous lequel tous les médecins de tous les rangs se rangeront sans répugnance. Toute l’Europe ne possède pas son second, et, qui plus est, toute l’Europe le sait.

La noblesse de Livonie Vous fera une représentation pour assurer un revenu plus honorable au surintendant général de Livonie2. Le surintendant actuel a été jusqu’ici obligé de réunir une seconde place à celle-là pour pouvoir vivre décemment. Mais il n’est ni décent ni utile au bien public de faire une pareille réunion qui d’ailleurs ne peut plus durer à raison du travail énorme qui en résulte, surtout sous Votre règne où tout est animé d’une nouvelle activité. La noblesse demande l’arrende3 de la petite terre de Colberg pour doter la place de surintendant. Cette terre est, il est vrai, assignée à l’Université; mais comme l’affaire de nos Haken n’est pas terminée, il importe peu à l’Université que cette terre lui reste ou non, et nous le céderons volontiers pour nous concilier le clergé dont l’influence sur les écoles paroissiales sera si marqué.

J’ai employé quelques jours de mes soi-disantes vacances à visiter une école paroissiale provisoirement établie depuis 8 mois à la cure du pasteur préposé Roth. Que ne puis-je Vous faire part de ce que j’ai éprouvé à cet aspect! Que ne puis-je faire passer dans Votre âme les sentiments délicieux que ces jeunes gens m’inspiraient! Je songeais à Vous et l’idée que Vous ne verrez jamais une école paroissiale troublait la joie que j’éprouvais.

Je Vous supplie ardemment de faire décréter les séminaires de campagne et les écoles paroissiales des villes4.

Je sens bien que je ne dois pas Vous rappeler en ce moment le Comité des requêtes, puisque, à ce qu’on m’écrit de Pétersbourg, Vous êtes sur le point de faire un voyage5. Plût au Ciel que Dorpat se trouvât sur Votre route!

Annexe

Coup d’œil sur l’état actuel de l’Europe en cas de guerre


Tirons une ligne de Cap Orso à l’extrémité méridional du golfe de Venise, par Constance, Mannheim et Emden à frontière orientale de la république Batave . Tout le continent à gauche de cette ligne forme l’Empire de Bonaparte, dont il ne porte pas, il est vrai, le titre, mais des forces duquel il peut disposer. Car le Portugal est tenu en respect par l’Espagne, qui elle-même est tributaire de la France, de même que les républiques batave et helvétique et la haute Italie; et avant le premier coup de canon il s’empare de la moyenne et basse Italie. Le reste du continent de l’Europe avec l’Angleterre est intéressé à se ligner contre la Monarchie unie dont cette partie du monde semble être menacé. Mais la Suède et la Danemark, puissances subordonnées, n’auront pas envie d’accéder à cette ligne à laquelle il faudrait les forcer, et la Prusse alliée de Bonaparte contre soi-même cède à l’appas de l’Hanovre et des accessoires tels que Hamburg et Lubeck et la Poméranie suédoise. (La crainte se joint encore à ce motif. Car si la Prusse ne se déclare pas pour la France, Bonaparte fait sa paix avec l’Autriche, lui promet la Silésie et la Lusace, et le Cabinet de Vienne fera marcher contre la Prusse, malgré sa prétendue chaude amitié pour la Russie. Nous avons vu des événements plus impudents que celui-là.) L’Empire d’Allemagne ne peut que fournir du terrain et des vivres aux armées des deux partis. On ne peut donc compter proprement que sur la Russie et l’Autriche.

Arrêtons-nous un moment encore à considérer la Prusse de plus près. À la vérité ses vrais intérêts bien entendus devraient lui faire préférer l’alliance du Nord, tant pour s’assurer son existence politique qui devient précaire à la mort de Bonaparte, que pour se tirer de l’état de minorité où la France la retient. Mais le cabinet de Berlin ne connait plus les grands principes de politique depuis la mort de Frédéric II. Il voudra louvoyer, et se trouvera bientôt forcé de se déclarer pour son tuteur. Son avidité lui fait désirer l’Hanovre et ses environs. Elle vise à posséder tout le Nord de l’Allemagne, pour devenir en effet une puissance du premier rang, ce qu’elle n’a jamais été que par les circonstances. La Russie pourrait sans compromettre sa propre sûreté pour la suite souffrir cet agrandissement et devrait même y contribuer. Elle restait toujours prépondérante et l’arbitre entre l’Autriche et la Prusse. Pour le moment elle eût retiré du profit de cet agrandissement de son voisin. D’un côté il est au moins indifférent que ne soit la Prusse ou la France qui possède l’Hanovre et les environs pendant la guerre. D’un autre côté la Prusse ayant obtenu son but cesserait d’être l’allié forcé de la France, et eût été plus disposée et plus à même de se soutenir contre cette puissance qu’à se sacrifier pour ses desseins ambitieux. Mais la garantie – dit-on. Il ne fallait point de garantie; en général tous les traités qui visent à une guerre éventuelle sont une faute morale et politique; morale parce qu’un gouvernement ne doit pas disposer des forces de la nation pour défendre les sottises qu’un voisin peut faire; politique parce qu’on se lie les mains pour des relations futures qu’on ne connait pas encore. On devrait déjà être revenu de l’idée que les États sont entre eux en relation d’individus. Deux amis peuvent se lier à vie et à mort. En cela ils ne disposent que d’eux-mêmes et ne sont responsables qu’à eux-mêmes des événements. Mais un gouvernement a l’intérêt de la nation à soutenir; c’est son premier devoir, devant lequel toute autre relation doit cesser, et par conséquent aussi les soi-disants relations de voisinage et d’amitié. La seule loi qu’il ait à observer est de ne pas envahir, et si tel autre enfreint cette loi contre un voisin, alors on est toujours maître d’être généreux en secourant le plus faible, on ne l’est même qu’alors et alors seulement on agit avec toutes ses forces parce qu’on n’est pas lié. Dès qu’on s’est lié de façon ou d’autre il n’a plus de choix, par conséquent de générosité, et souvent plus de pouvoir, parce que l’on se trouve ordinairement dans un cas qui n’a été calculé que par l’agresseur. Si on voulait consulter l’histoire, on trouverait que presque toutes les guerres de notre politique ont été causées directement ou indirectement par des traités. Les seuls États continentaux, sur toute la surface de la terre, qui ont de tout temps conservé leur intégrité sont ceux qui ne connaissent point les traités, la Chine et le Japon, et ceux qui ne les tiennent pas, les puissances barbaresques.

Revenons au cas présent, et puisque la guerre paraît inévitable, voyons ce qu’elle peut devenir toujours dans la supposition que la Prusse se déclare tôt ou tard contre nous. Les puissances principales peuvent sans s’épuiser faire marcher1



Voilà à peu près la proportion des forces actuelles applicables à l’état actuel. On peut faire de plus grands efforts de toute part, mais la même proportion reste. Pour en prévoir le résultat il faut se mettre à la place de l’ennemi, et calculer dans ses principes et avec ses forces et ses vues et le plan de campagne.

Bonaparte veut se soutenir et s’agrandir. Son principe de morale politique est celui du plus fort. Il dispose des États voisins selon son intérêt et ses forces. Il se soutiendra à l’intérieur tant qu’il aura une guerre à l’extérieur pourvu qu’elle ne soit pas absolument malheureuse et qu’il ait l’adresse de persuader à sa nation qu’il est la partie attaquée, non l’agresseur. Alors le point d’honneur et en quelque sorte l’intérêt national succèdera à l’enthousiasme de la liberté; les armées françaises si aguerries feront leur devoir. Bonaparte les fera commander par ses généraux et s’il veut paraître, il ne le fera que dans des occasions signalées, pour conserver l’éclat de gloire militaire qui l’environne. Ses relations avec la Grande Bretagne lui sont favorables. Sa flottille de Boulogne tient toutes les forces de terre de cette puissance en échec2. Ses escadres font promener les flottes anglaises sur toutes les mers et les empêchent de faire quelque expédition importante. L’armée russe embarquée ne le gênera guère, parce qu’on ne se stationne pas sur mer comme sur terre, et qu’il faut renoncer au projet d’une descente sur les côtes de la mer du Nord, la France y étant trop en forces. La vraie utilité de l’armée embarquée se prouvera contre la Prusse lorsque celle-ci se déclarera.

L’ennemi principal de Bonaparte est la Russie, la seule puissance qui lui ait parlé vertement, qui ait particulièrement blessé son orgueil. C’est donc sur la Russie qu’il dirigera son plan principal; ses mesures pour couper les négociations avec Nov[osilzoff] avant qu’elles soient entamées prouvent qu’il veut se venger, sans passer pour agresseur, comme les relations du cabinet de Berlin vis-à-vis de celui de Pétersbourg prouvent qu’il a su habilement profiter du seul moyen qu’il ait d’attaquer avec avantage3. Ce moyen qui au premier coup d’œil paraît le seul, et qui l’est effectivement sous certains circonstances, se multiplie dans les conjonctures présentes.

Ainsi Bonaparte, avant d’avoir fait marcher un seul régiment, a changé totalement la situation politique de la Russie, qui auparavant ne prenait part aux querelles du sud-ouest de l’Europe que comme alliée ou arbitre, mais qui à présent joue les rôle principal et est forcée de chercher des alliés. Ce changement, à la vérité, n’est peut-être pas encore diplomatiquement exprimé, mais il est réel, fondé dans la nature des circonstances, et je l’avais prévu avant la mission de Nov[osilzoff] à Berlin. Aussi j’opinais toujours absolument contre la guerre, dont les suites, même brillantes, ne compenseront jamais le dommage.

Aucun ne se trompe pas aux démonstrations pacifiques actuelles du cabinet de Berlin. Il est par les raisons alléguées intéressé contre la Russie et se déclarera quand Bonaparte l’exigera officiellement, c.à.d. quand la Russie aura dirigé ses principales forces de l’autre côté. Dans toutes les hypothèses possibles la Russie doit se regarder comme en guerre avec la Prusse. Il existe sûrement quelque traité secret contre cette puissance et la France, et si la Russie veut absolument prendre les armes, il faut s’assurer diplomatiquement des intentions de la Prusse, demander une déclaration publique et catégorique pour pouvoir faire un plan fixe d’opérations et ne pas être tenu par la Prusse en échec.

Bonaparte, ayant gagné ou forcé la Prusse, peut attaquer la Russie au Nord-Ouest ou au Sud, et le fera sûrement si la guerre a lieu en effet. Il renforcera la Prusse de 50 000 hommes, charmé en outre d’avoir une armée au cœur de cet État pour être plus sûr de sa fidélité. Pour empêcher l’Autriche de porter des forces trop considérables de ce côté je ferais marcher par Mannheim, au travers de la Franconie 50 000 hommes sur la Bohême dont les habitants sont déjà affamés, et ne peuvent sûrement pas nourrir même une armée autrichienne. Je placerais 140 000 hommes sur les frontières de la Suisse, sur les bords de l’Etsch et du Po pour attaquer la Suabe autrichienne, le Tirol, et Venise. Je ferais défiler 160 000 hommes le long de l’Italie jusqu’à Otranto, dont 20 000 garderaient l’Italie et le reste, 140 000 seraient débarqués au moyen de bateaux plats ou de vaisseaux marchands, sur la côte d’Albanie. 40 000 de cette armée du Levant4 s’emparerait des passages de la Macédoine et des Dardanelles. Le reste marcherait au Nord et prendrait possession des bouches du Danube et du Dniester. En même temps une division de la flotte française évitant les anglais arriverait à l’Archipel, et entrerait dans la mer Noire d’où elle couperait les approvisionnements que les armées russes pourraient tirer des côtes.

Le trajet du Cap Orso au petit Golfe de Valona n’est que de 45 Werste; la faiblesse du gouvernement turc exposé à des révoltes journalières même en temps de paix et la haine des turcs contre les autrichiens et les russes assurerait le succès de l’entreprise, qui se trouverait secondée par l’armée de la haute Italie pour peu qu’elle fit de progrès, en sorte qu’il s’établirait une communication entre les deux armées principales au travers de la Dalmatie, communication même, qui, vu la grande futilité vassale de la Turquie et la facilité de révolutionner cet État, ne serait pas indispensable.

Ce plan de campagne ou tout autre semblable est très plausible et est extrêmement facilité par la Prusse qui occupera la majorité des forces de la Russie. Sans elle (la Prusse) il est inexécutable, parce que la Russie portant ses forces principales sur le midi est bien plus à portée de couvrir la Turquie que la France de l’envahir.

Pour repousser cette double attaque la Russie doit faire marcher sur la Prusse au moins 170 000 hommes et l’Autriche 30 000, les forces prussiennes et françaises en Prusse faisant un total de 200 000 hommes. L’Autriche doit faire armer au moins 50 000 hommes en Franconie, en Italie 140 000 hommes et en Turquie le long du Golfe de Venise jusqu’à Corfou au moins 30 000 hommes. Tandis que 80 000 russes entreront par la Moldavie et la Walachie pour pénétrer jusqu’aux Dardanelles si le gouvernement turc ne voulait pas lui en laisser prendre possession par mer à l’amiable.

La Russie doit en outre, en réunissant ses principales forces contre la Prusse, augmenter par mer les troupes de Corfou, tenir une armée considérable sur les frontières turques, faire observer de Corfou les manœuvres des français en basse Italie, exiger qu’une forte escadre anglaise croise autour de l’Italie pour soutenir Corfou au besoin et lui fournir des nouvelles qui seront remises au plus tôt par Constantinople et la mer Noire à Oczakow. Il sera même nécessaire d’envoyer à Oczakow un plénipotentiaire, soit pour traiter en moins de temps avec la Turquie, soit pour ordonner la marche de l’armée dès que les nouvelles de Corfou annoncent que l’armée française se renforce dans la basse Italie au-dessus de 30 000 hommes.

Ce plan de campagne de la part de la Russie pourra seul prévenir l’attaque de ce côté-là et même la chute de l’Empire Ottoman en Europe, et est par conséquent légitime. Attaquer directement cet Empire, présentement, par pure précaution, serait une injustice qui ne serait pas même utile.

Il y a un autre plan, celui d’écraser la Prusse le plus tôt possible de toutes les forces de la Russie, pour la forcer à la paix5. Mais d’un côté on n’écrase pas la Prusse en 6 semaines; de l’autre quand cela réussirait jusqu’à un certain point, les affaires n’en seraient pas mieux en état; la France dirigerait ses forces principales sur la Prusse, en ne se tenant que sur la défensive vis-à-vis de l’Autriche sur laquelle elle a l’avantage du terrain, les distances seraient égalisées entre la Russie et la France, et celle-ci pourrait par conséquent faire marcher autant de troupes que la Russie et, secondée des troupes prussiennes, repousser les armées russes et agir offensivement.

76. G. F. Parrot à Alexandre I