Кафедра и трон. Переписка императора Александра I и профессора Г. Ф. Паррота — страница 52 из 183

ER

[Saint-Pétersbourg], 24 janvier 1806


Je ne puis quitter Pétersbourg sans Vous écrire encore une fois. Votre image me suit partout. En vain je veux l’éloigner, en vain je veux me reposer sur la Providence, Vous confier à Elle. Je ne le puis. Être chéri! La Divinité me paraît presque un trop faible garant pour Vous. Écoutez la voix de Votre ami. Il me semble que c’est la dernière fois que je Vous parle.

L’incertitude, l’avant-coureur certain des malheurs, règne dans Votre Ministère. Les opinions sont partagées et chacune d’elles est vague. Des factions de cour se forment à la sourdine et paralysent le zèle de Vos fidèles. Vous êtes sur la défensive tandis que Vous devriez attaquer. Ralliez-Vous à ce que Vous avez du meilleur, à Novossilzoff, Czartorisky, Kotschubeÿ. Mettez Klinger au nombre de ces Affidés, Klinger qui a l’âme forte et du génie. Ne remettez pas au lendemain. Rassemblez-les dès aujourd’hui. Parlez-leur avec cet enthousiasme de la vertu, avec ce sentiment de Vos devoirs que Vous concentrez peut-être trop depuis quelque temps. Échauffez leur âme, présentez-leur le tableau de la situation de l’Empire, faites-leur sentir la nécessité d’agir avec vigueur, et que chacun d’eux Vous jure solennellement de prendre, d’appuyer, d’exécuter de toutes ses forces le parti que Vous prendrez. Puis appointez-les au lendemain. Qu’alors chacun parle et soutienne son avis de tous ses motifs. Après cela délibérez seul avec Vous-même, et que Votre décision soit exécutée avec zèle et promptitude.

Il faut donner une secousse à la marche des affaires. Elle a été déjà donnée au dehors. Si Vous ne Vous mettez pas au pair à l’intérieur, Vous succomberez. Six semaines sont déjà perdues. Six heures seraient de trop. Le plus actif des hommes, le plus terriblement conséquent, ne peut être vaincu que par ses propres armes. Donnez plus de temps au travail. Si la journée Vous suffisait pendant la paix, allongez la journée dans ce moment de crise. Laissez à l’intérieur le temps qu’il a toujours eu, et prenez sur les autres heures ce qu’il Vous faudra pour l’extérieur. Que chaque jour le conseil des fidèles ait séance; que chaque jour soit marqué par leur activité, dont rien ne doit ralentir la marche. Écrivez Vous-même le protocole des séances. C’est le plus sûr moyen de Vous saisir du fil des opérations, de Vous accoutumer au vrai travail, d’en donner la passion à Vos amis.

Je sais combien je Vous demande. Mais Vous êtes à la fleur de l’âge, au période de la vie qui déploie le plus de force. Si aujourd’hui Vous ne devenez pas mon Héros, jamais Vous ne le serez. – Vous voyez que j’écrase toutes les convenances, à dessein. Je veux allumer le feu de Votre génie étouffé sous la pourpre. Pourquoi Vous aimerais-je? Je suis ambitieux, pour Vous. Si la Providence eût voulu me placer en France, le tyran ne la gouvernerait pas; la liberté, la dignité de l’homme y régneraient. Mais je n’y eusse pas trouvé une âme comme la Vôtre, et je bénis ses décrets. Régnez, et confondez le méchant. Voilà ce que me dicte ma passion pour Vous. Il a été un temps où le premier de mes vœux était de mourir à Vos côtés. À présent c’est le moindre. Si l’heure sonne, Vous me verrez à mon poste. Du reste jamais je ne Vous approcherai que comme j’ai fait jusqu’ici. Je dois être éloigné de Vous, pour Vous-même et pour moi. Votre physionomie touchante, Votre cœur séduisant saisissent trop mon âme. En Votre présence j’oublie trop aisément que Vous êtes Empereur pour m’abandonner au sentiment de l’amitié. Comptez sur ce que je Vous dis de moi-même. Moi, je puis m’y fier. J’ai été à l’école du malheur.

L’obscurantisme veille à Votre porte. Il attend que Vous commettiez des fautes à l’extérieur pour Vous en imposer à l’intérieur. Des êtres pusillanimes épient le côté faible que Vous pouviez leur prêter dans Vos relations personnelles les plus intimes1, se glorifient de leurs succès et se rallient aux ennemis de la lumière. Devenez sévère, frappez de crainte les ennemis du bien. L’occasion s’offre de donner un exemple. Punissez Arsenief pour avoir osé, chargé de crimes et de honte, briguer un poste de confiance et trahir ses devoirs dans cet emploi.

Visitez les tribunaux. Veillez à l’exécution des Ukases, punissez les délais. Ne Vous laissez pas rebuter par des essais infructueux. Vous parviendrez au but difficilement, mais Vous y parviendrez.

Visitez les prisons et les hôpitaux, ne fût-ce que pour voir la misère humaine et préserver Votre âme de cette tolérance pernicieuse qui séduit la bonté à tolérer les abus.

Réformez l’armée. Substituez les manœuvres à l’exercice. Vos officiers s’y feront, dès qu’ils sauront que c’est le moyen de Vous plaire. Il faut commencer une fois, sans quoi les officiers ne se formeront jamais.

Voilà ce que je voulais Vous dire. Puisse chaque mot Vous pénétrer comme il m’a pénétré! J’ai rempli le plus sublime devoir. Mon cœur en est si content! Une larme d’attendrissement mouille mes paupières. O mon Alexandre! – Écrivez-moi deux mots. Que je sache l’état de Votre âme avant de partir.

90. G. F. Parrot à Alexandre IER

[Dorpat], 1 février 1806


Mon Alexandre ne m’a pas écrit ce peu de mots qui eussent fait tant de bien à mon cœur. Je l’en avais prié dans ma dernière lettre de Pétersbourg. Êtes-Vous faché? Non, affligé? Le style de cette dernière lettre Vous a paru trop violent. Si Vous saviez combien il m’en a coûté pour Vous écrire sur ce ton. Je me suis enserré; je me suis dit: je veux Lui écrire avec fermeté; plutôt de la dureté que de la mollesse. Je veux oublier un instant que je L’aime.

Ce que Vous m’avez dit sur l’expression trop molle de quelques-unes de mes lettres m’a frappé. Je tâcherai de me corriger. Je sais que je n’y parviendrai pas. Mais au moins je le fais quelquefois. J’ai vu l’amitié. Je l’ai vue sincère et cependant l’égoïsme à sa suite, un égoïsme bien secret, bien caché, mais cependant de l’égoïsme. J’ai tâché d’en purger mon âme, depuis 4 ans que je Vous connais. Votre cœur si pur, si vertueux m’a facilité le triomphe sur cet ennemi du vrai sentiment, et c’est ce triomphe qui me donne la force de Vous écrire quelquefois avec dureté.

Pourquoi ne m’avez-Vous pas écrit? Quelques mots. Je ne demande pas des lettres longues et détaillées. C’est à moi de Vous les écrire. Je commande à mon temps, à mon sommeil, à ma santé. Je suis l’élève du malheur. Vous ne l’êtes pas encore. Mais je voudrais que ses premières leçons Vous fassent utiles. Je ne Vous demande que quelques mots, et si j’interroge mon cœur, il me répond que c’est pour Vous, oui pour Vous, que je les demande. Sondez le cœur humain, sondez Votre cœur, et Vous trouverez que rien n’est si salutaire pour l’homme bon qui veut être vertueux en dépit des circonstances qui le tyrannisent, qui minent sa force, son activité, son passion pour le bien, que de se lier vis-à-vis d’un ami sûr, dont il respecte la vigilance. C’est une des principales règles de ma vie. Je pèse les motifs de mes actions, je me détermine et je mets un ami dans ma confidence. Alors plus de retraite. L’estime pour cet ami m’impose la loi de ne plus fléchir. C’est ainsi que l’égoïsme, que la nature ne nous a pas donné pour nous avilir, doit être mis à profit pour le bien. Croyez-moi. Il n’est nul homme au monde, peut-être pas même Jésus, Socrate ou Régulus, qui n’ait besoin de ce ressort pour tenir son âme dans cette vigueur de principes que l’humanité a déifiée en eux. Régulus trouva dans la résistance du serment la résistance qu’il dut opposer au cri de la nature et de sa famille. Socrate se soumettant aux lois injustes de sa Patrie, mourant pour ne pas cesser d’être citoyen, était entouré de ses amis; et Jésus trahi, vendu, crucifié encourageait ses disciples à la vertu et consolait sa mère.

Rapproche-toi de ton ami, Alexandre! Presse-le sur ton cœur, non seulement dans ces moments d’effusion où la présence, où le langage de l’âme exalte le sentiment. Qu’il te soit toujours présent. Vois-le toujours à tes côtés, confies-lui tes plus secrètes pensées, et quant il te prie de lui en dire quelques-unes, ne le lui refuse pas, pour toi-même, pour le bien de ton peuple, pour ta propre vertu.

O que je me réjouis d’avoir une âme entreprenante qui lutte sans cesse contre la faiblesse de tes alentours. Agis! fût-ce quelquefois à tort. – Pourquoi la Gazette de Pétersbourg n’a-t-elle pas encore livré l’article1? Il ne remplissait peut-être pas tes vues. Il ne satisfaisait pas à tout. Mais faut-il n’agir que comme la divinité? La perfection est-elle l’apanage de l’homme? Agis! Ce n’est pas moi seul, c’est Bonaparte qui te crie du sud-ouest de l’Europe: Agis. Vois ses succès. Crois-tu qu’il ne commet pas de fautes? Elles ne cessent de l’être que parce que tous les autres en commettent de plus grandes, la plus grande de toutes, l’inactivité.

L’idée de Vous rallier à Vos alentours a peut-être ses inconvénients. Quelle mesure n’a pas les siennes? Vous ne Vous croyez pas un Dieu. Il Vous faut donc des yeux, des bras, des hommes pour voir, pour agir, pour mener les hommes. Ceux que je Vous ai nommés sont les meilleurs. Servez-Vous donc des moyens que la providence, que Votre sens interne Vous a donné. Votre grandeur consiste en cela.

Adieu, mon cher ami, mon précieux Alexandre! Ton Parrot est toujours près de toi.

91. G. F. Parrot à Alexandre IER

[Dorpat], 16 mars 1806


Sire!

Depuis 6 semaines que j’ai quitté Pétersbourg j’attends quelques lignes de Votre main. Peut-être ai-je tort de les désirer avec tant d’ardeur. Mais le sentiment calcule-t-il? Et Vous, qui connaissez si bien ce sentiment, cette sollicitude pour tout ce qui Vous concerne, Vous pouvez me refuser cette jouissance. Craignez-Vous une indiscrétion de ma part? J’ai brûlé Votre première lettre dans un temps où je n’espérais pas revoir ces caractères chéris