Кафедра и трон. Переписка императора Александра I и профессора Г. Ф. Паррота — страница 56 из 183

97. Alexandre IER à G. F. Parrot

[Saint-Pétersbourg, 20 novembre 1806]1


Je profite du premier moment de libre que j’ai pour Vous écrire ces lignes. Ce que Vous me marquez dans Votre avant-dernière sur Votre santé, m’a beaucoup affligé. Vous connaissez tout l’intérêt que je Vous porte; mais j’espère que Votre mal est susceptible de soulagement, et qu’avec quelques soins Vous pourrez Vous remettre. Le ministre a reçu l’ordre de Vous autoriser de venir ici, je désire beaucoup que Votre santé n’y mette aucun obstacle, et cela sera avec bien du plaisir que je Vous reverrais.

Tout à vous.

98. G. F. Parrot à Alexandre IER

[Saint-Pétersbourg, 25 décembre 1806]1


Me voilà à Pétersbourg, l’âme pleine de mon Bien-Aimé! Que ne puis-je Vous peindre mes sentiments! O mon Alexandre! Le principal, le dominant est que je me sens meilleur à Votre approche. Mon cœur s’épure. Tout ce qui n’est pas digne de Vous disparaît pour faire place aux sentiments nobles qui Vous animent continuellement, qui sont si intimement liés à Votre Être. Je verrai Votre chère enfant, au moins je l’espère, je la presserai sur mon cœur. – Mais j’ai à Vous parler sur nos provinces relativement aux milices2. – Il n’y a pas un jour à perdre. Je viens de faire une tournée en Estonie, et je Vous dois la vérité que Vous ne connaissez pas encore; sans cela Vous serez trompé par les apparences, et Vous en souffrirez cruellement. S’il est possible, accordez-moi encore aujourd’hui une heure pour cet objet. Il n’y a pas un moment à perdre.

99. Alexandre IER à G. F. Parrot

[Saint-Pétersbourg, 26 décembre 1806]1


Je n’attendais nullement, que ce que Vous aviez à me dire pût regarder mes armées. Vous pouvez bien penser l’étonnement, dans lequel je dois me trouver, de ce que Vous avez l’air d’être instruit d’événements qui s’y sont passés. Je Vous invite à m’instruire par écrit de ce que Vous savez. Il n’y a rien, qui ne puisse se dire sur papier, surtout par une voie aussi sûre que celle que nous employons, et demain après-dîner je Vous verrais moi-même2. Faites-moi le plaisir de le faire sans perdre un moment.

Tout à vous.

[Paraphe]

100. G. F. Parrot à Alexandre IER

Saint-Pétersbourg, 27 décembre 1806


Sire!

J’ai appris combien Vous êtes obéré d’affaires majeures, et je conçois que c’était une indiscrétion que de Vous demander une heure avec tant d’empressement; j’eusse dû faire d’abord ce que je vais faire, Vous dire par écrit ce que je voulais Vous dire de bouche. Vous fâcherez-Vous si je Vous avoue que les délices que je me promettais de notre entrevue m’ont peut-être aveuglé? Où l’égoïsme allait-il se nicher1?

Je voulais Vous parler des milices, surtout par rapport à mes provinces frontières.

Malgré tout ce que l’on entend dire contre la levée des milices en général, j’en trouve l’idée bonne, heureuse même, et Novossiltzoff a rendu un service important à Vous et à l’État pour cette idée. Elle met le patriotisme de Votre nation en activités et Vous fournira des recrues exercées dans un cas de besoin qui ne manquera pas d’avoir lieu. Car l’avantage réel que nous avons obtenu par la victoire de Benningsen n’est pas grand du côté militaire2, mais d’autant plus du côté de l’opinion, et Vous devez Vous attendre à un revers, peut-être considérable, causé par la dissension des chefs de l’armée. Mais aussi pourquoi donner un commandement important à un homme aussi méprisable que Buxhöwden?

La levée des milices ne doit donc être considérée que sous le double point de vue indiqué, du patriotisme et du recrutement des régiments; c’est donc sous ce point de vue qu’il faut considérer cette mesure relativement aux provinces de l’Estonie, Livonie et Courlande. Il n’existe point de patriotisme chez les paysans de ces provinces, il ne peut pas en exister . Le lette et l’estonien ne sont pas russes, ils ne font pas corps avec la masse de la nation. Depuis qu’ils sont sujets de l’Empire russe leur esclavage est devenu plus dur et plus anéantissant. L’Impératrice Catherine, qui savait conquérir des provinces, ignorait l’art de les assimiler, l’art de conquérir les hommes. Elle n’a presque rien fait pour la masse de ces deux nations croyant qu’il suffisait de gagner la noblesse; de là les favorisations qu’elle a accordées à ce corps dans ces provinces, dont la Russie murmure encore. L’exemption de recrues qu’elle a continuée pour ces provinces est à cet égard une grande faute politique. Le lette et l’estonien n’ont point pris de part aux succès militaires . Il n’existe aucun lien entre ces nations et la nation russe, par conséquent point de patriotisme du côté des provinces conquises. Quelle est la source du patriotisme russe? – La gloire. Votre nation a autrefois secoué le joug des nations étrangères, a subjugué ses anciens conquérants, a combattu glorieusement, subjugué même des nations voisines. Voilà ce qui forme cet esprit de corps qui, quand il est national, devient amour de la Patrie, la seule espèce de patriotisme qui puisse exister chez un peuple qui ne connait pas la liberté. C’est le patriotisme des français d’aujourd’hui. Le lette et l’estonien est encore moins libre que le russe; le despotisme des particuliers l’a avili, et par l’exemption des recrues on l’a éloigné la cause publique. Les victoires des russes lui sont étrangères; il ne sent que la supériorité de la nation conquérante qui rive les fers dont la noblesse l’a chargé. D’où lui devait donc venir l’esprit de corps, le patriotisme? – Mais je me trompe. Il a un esprit de corps. Il regrette les temps plus heureux pour lui de la domination suédoise, mais cet esprit de corps est l’opposé de celui que nous désirons qu’il ait; c’est l’opposé du patriotisme qu’il devait avoir en ce moment, c’est cet esprit de corps qui lui fait désirer un changement quelconque. Le lette et l’estonien Vous aime personnellement, je Vous l’ai dit. Mais il s’est formé chez eux un proverbe national: l’Empereur est loin de nous, notre seigneur est près; et ce proverbe s’est formé précisément par les soins que Vous prenez d’adoucir son sort. Ce proverbe seul contient et l’histoire de ces soins et la façon de penser de ces deux nations; c’est la juste mesure de leur attachement à l’Empire.

Encore une considération générale. On a annoncé cette levée de milices, sans parler auparavant au gros de la nation, sans l’instruire des vues du gouvernement, des besoins de l’État. Tant qu’il n’est question que de recrues militaires on peut se passer de les explications. Mais quand il s’agit d’une levée en masse, la nation sent le besoin qu’on a d’elle, et elle veut qu’on lui parle, et on a le droit. Aussi cette faute a-t-elle produit même en Russie des mésententes qui auraient pu devenir sérieuses. La coutume fait passer sur tout ce qui est de coutume, mais tout ce qui est extraordinaire doit être motivé. Dans ces cas-ci toute nation, quelque soumise qu’elle soit, se ressouvient qu’elle a une raison, et chaque individu, quelque borné qu’il soit, a une grande opinion de la sienne.

Je passe de ces réflexions générales au moment présent dans les provinces conquises. La Diète de Reval est terminée, et a décrété, que malgré tout le danger qu’elle sent, malgré les clameurs et la frayeur de la majorité, on obéirait sans Vous faire de représentations. Pourquoi? Parce que les orateurs de la Diète ont prouvé à la majorité que les représentations découvriraient le faible de la noblesse, que Vous pourriez lui demander pourquoi on ne peut pas se fier à ses paysans comme aux russes, et agir après la mise en conséquence. Les orateurs ont fait entendre à la majorité que les milices sont le meilleur moyen de se défaire des esprits turbulents – comme si dans un moment pareil tous les esprits n’étaient pas turbulents! Si l’on veut partir de ce principe il ne faut pas enlever le quart ou le tiers des hommes en état de porter les armes, mais tous; il faut opérer une émigration générale.

Dans le petit voyage que je viens de faire en Estonie, j’ai entendu le gentilhomme parler individuellement; j’ai vu sa terreur, j’ai lu les lettres désolantes qu’on s’écrit, et l’on m’a instamment prié de travailler à parer le coup fatal. – Sivers n’est sûrement pas un poltron et Vous savez qu’il a été du même avis que moi, avant que nous ayons pu nous aboucher là-dessus.

Je joins un feuillet à part qui contient les raisons particulières qui existent contre l’armement des provinces conquises, aussi brièvement exprimées que j’ai pu, et les moyens de se dispenser de cet armement d’une manière avantageuse à l’État.

Pesez ces raisons. Votre Parrot Vous les doit, et Vous les donne comme tout ce qu’il Vous a donné jusqu’à présent, persuadé qu’il augmente le nombre de ses ennemis. Ma démarche inspirée par le désir de sauver cette noblesse qui me hait sera un nouveau crime à ses yeux, ou au moins de ses chefs.

Annexe

[Mémoire sur les milices]


Le lette et l’estonien n’a aucun esprit militaire; on n’en fera donc que de mauvaises milices. Il ne peut avoir d’esprit militaire parce qu’il a été 100 ans sans faire la guerre. Le russe a fait la guerre de tout temps, et heureusement; les milices russes fourniront donc d’excellents soldats après quelques semaines d’exercice, pourvu que l’exercice soit simple. Le but des milices ne doit pas être seulement d’opposer une grande masse à l’ennemi s’il repousse et affaiblit nos armées, mais surtout de fournir une nouvelle armée disciplinée.

Les milices restant dans leurs foyers sont trop dispersées pour se réunir à temps contre une armée victorieuse; la masse totale des milices ne peut être concentrée, parce qu’elle manquerait de vivres.

La vraie manière de tenir le meilleur parti des milices est d’en concentrer une partie sur les frontières, à portée de l’armée qu’on veut recruter, et cette partie à concentrer doit être la meilleure.

Les milices lettoises et estoniennes sont au moins suspectes. Le paysan dit tout haut qu’il attend Bonaparte comme son libérateur. Il faudra donc garder ces milices par d’autres milices ou par des soldats de ligne. Ce sont donc des secours négatifs qu’on se donne par là. La plus grande difficulté sera de les lever; s’ils s’opposaient, comme il est infiniment vraisemblable, comment faire sans force armée? Si par-ci par-là quelque seigneur veut employer la violence, comment empêcher les premiers massacres, et s’ils commencent, ce sera le feu dans une forêt.

On viendra à bout d’éteindre ce feu de rébellion quand la moitié des seigneurs seront massacrés et la moitié des terres ruinées. Mais encore il faudra des soldats; la ruine des provinces sera le moindre des maux qui en résultera. Non seulement l’armée aura un ennemi de plus à combattre mais aussi la famine et l’opinion, qui décide dans tous les projets où de grandes masses se meuvent. Le polonais indécis se déclarera courageusement pour l’ennemi et renforcera et approvisionnera son armée.

Il faut donc supprimer les milices lettes et estoniennes, et la victoire que Benningsen a remportée servira de prétexte; on peut déclarer une grande partie du danger passée; mais il faut se hâter afin que cette mesure ne paraisse pas faiblesse si elle venait après le commencement des désordres.

Ces provinces ne doivent pas par là être exemptes des charges publiques que la situation présente exige. Qu’on leur donne à entretenir le double de milices russes; qu’on fasse passer dans l’Estonie, la Livonie et la Courlande environ 90 000 russes des milices les plus voisines. Là elles seront exercées à loisir, et serviront à maintenir l’ordre en attendant qu’elles marchent; elles deviendront une vraie armée qui aura déjà fait quelques cent Werstes vers l’ennemi. Ce chemin gagné est un grand avantage.

Pour nourrir ces 90 000 hommes il faut prendre trois mesures que la disette impose. 1) Défendre dès ce moment la fabrication des eaux de vie. Celles qui ont déjà été seront plus que suffisantes pour les besoins de ces 90 000 hommes. Tant mieux si cette denrée renchérit dans ces provinces; le paysan qui boit moins en est plus tranquille, pour l’armée on la prend à un prix fixe. 2) Ouvrir les magasins des paysans pour fournir aux premiers besoins. La famine se fait déjà sentir. 3) Faire venir aux frais de ces provinces, des vivres des autres gouvernements où la récolte a été meilleure.

Fermeté, célerité, succès.

101. G. F. Parrot à Alexandre I