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[Saint-Pétersbourg], 30 décembre 1806
Sire!
Je voulais aller à la cour, pour le plaisir de voir mon Bien-Aimé; en ai-je un plus grand au monde? Je voulais lire dans Votre regard si Vous êtes décidé sur l’affaire des milices dans nos provinces. – Mais je ne puis; je sens que je ne pourrais pas être si longtemps debout, la matinée étant pour ma santé la plus mauvaise partie de la journée à cause de mes insomnies. Veuillez me dire si Vous avez arrangé cette affaire. C’est trop attendre de Votre complaisance, je le sens; mais faites-le pour Votre reconvalescent qui se porterait sûrement très bien si la chose publique, la chose de son Alexandre, ne lui tenait pas si fort à cœur.
Je Vous salue, mon ami, mon Héros, de toute mon âme.
102. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg], 5 janvier 1807
Je végète ici dans l’incertitude sur l’effet de l’idée que je Vous ai communiquée concernant les milices. Je suis inquiet, sûrement pas par égoïsme, pas parce que c’est moi qui Vous ai proposé cette idée, mais parce que son exécution Vous touche de près. Je Vous aime plus que jamais, mon Alexandre; je suis toujours occupé de Vous. Je passe les journées à prendre des informations, la moitié des nuits à penser à Vous et à Vos alentours, et les rêves de mon sommeil inquiet ne sont que la continuation de ces idées. Je crains que la résistance de Vos alentours ne retarde Votre résolution ou ne Vous engage à prendre des demi-mesures. Tout ce que j’ai appris depuis me confirme dans la persuasion que ce que je Vous ai proposé est la seule mesure vraiment calculée sur le moment présent. Des vues particulières ne peuvent pas m’aveugler. N’est-ce pas pour sauver cette caste qui me hait que je Vous ai parlé, et que je me suis exposé à contredire ouvertement une idée généralement applaudie? Les députés ecclésiastiques des provinces protestantes sont ici, et travaillent à une proclamation dans l’idée qu’on lèvera les milices de ces provinces. N’exposez pas ces hommes respectables, dont la condition est aujourd’hui trop peu respectée, au ridicule d’avoir fait un travail dont on était persuadé d’avance qu’on n’en ferait pas usage, et avant leur départ donnez leur quelque témoignage de Votre satisfaction. On méprise leur vocation, on hait ou craint leur activité; personne ne parle pour eux.
Dites-moi, je Vous supplie, ce que Vous avez fait quant aux milices, un seul mot, pour que j’aie une idée à laquelle je puisse m’arrêter1. L’incertitude me martyrise dans tout ce qui regarde ou le bien public ou Votre personne chérie. Pourquoi, en sentant un cœur trop aimant, me jeter dans les affaires? Jamais je ne m’accoutumerai à l’idée, malheureusement trop commune, de me consoler du mal par le sentiment d’avoir fait mon possible pour l’éloigner.
Votre Parrot
103. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg], 12 janvier 1807
Sire!
Le temps des fêtes est passé. Celui du travail des bureaux est venu. Veuillez à présent Vous occuper des écoles paroissiales et me fixer une heure pour Vous offrir mon exposé sur l’état actuel de cette importante affaire. J’ai examiné de nouveau le tout avec le plus grand soin; les mesures que je Vous propose sont énergiques, mais prudentes, mais fondées sur la connaissance la plus intime de la chose. Il faut agir ici avec fermeté. La condescendance que Vous avez eue dans l’affaire des paysans de Livonie a nui et Vous a coûté bien des désagréments. Ici je voudrais Vous les épargner. Je me charge volontiers de la haine des ennemis du bien; je l’ai déjà depuis longtemps.
Je Vous aimerai toujours, fassiez-Vous injuste à mon égard. Voilà ce qui me donne la force d’être sans réserve à Vous. Mes forces physiques et intellectuelles ne reviennent pas. Tirez parti de ce qui m’en reste. Je ne veux que cela.
Je Vous salue de toute mon âme, mon Bien-Aimé.
Votre Parrot
104. Alexandre IER à G. F. Parrot
[Saint-Pétersbourg, 19 janvier 1807]1
Il m’a été de toute impossibilité de vous recevoir tous ces jours-ci, ayant été accablé de besogne. C’est demain après-dîner que je puis Vous recevoir, tous mes moments pour aujourd’hui se trouvent pris.
Tout à vous. – Tranquillisez-vous, du reste je n’ai nulle envie de Vous tuer.
[Paraphe]
105. Alexandre IER à G. F. Parrot
[Saint-Pétersbourg, 20 janvier 1807]1
Il m’est survenu une quantité de papiers énorme, je travaille tout l’après-dîner et suis bien loin encore d’avoir achevé. Il m’est donc de toute impossibilité de Vous recevoir, mais je Vous prie de passer chez moi demain après-dîner.
Tout à vous.
[Paraphe]
106. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg], 21 janvier 1807
Votre billet d’hier, mon Alexandre, m’a fait un plaisir que je ne puis Vous exprimer. J’avais passé près de 2 heures dans la chambre de Gessler, seul, par bonheur uniquement occupé de Vous1. Votre billet arrive et m’apprend que mon Bien-Aimé s’occupe avec ardeur bien de ses sujets, remplit ses devoirs sublimes avec intérêt, avec zèle, avec cet amour de l’humanité que son cœur seul sait lui inspirer. – Vous êtes heureux, Alexandre! O sentez, savourez Votre bonheur. Le sentiment que Vous avez eu en Vous couchant, après avoir rempli Votre tâche est la plus belle jouissance que Votre trône puisse Vous offrir. Votre ami l’a partagé, et a senti plus que jamais le bonheur de Vous appartenir. Continuez d’aimer
Votre Parrot.
107. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg], 25 janvier 1807
Sire!
Comme c’est demain que le Comte Sawadofsky Vous présente les affaires de son département, permettez-moi de Vous communiquer une réflexion sur le dessein que Vous avez de terminer l’affaire des écoles paroissiales sans discussion au Directoire1. Je sens le prix de cette bonté de Votre part. Je vois dans cette résolution la fermeté avec laquelle Vous voulez agir et la délicatesse avec laquelle Vous voulez me ménager personnellement. Mon cœur en est touché. Mais d’un côté je crois que la chose au moins ne perdra pas à été discutée, et au contraire que j’amènerai ces messieurs à Vous fournir d’eux-mêmes l’occasion de rendre le seul décret qui peut terminer promptement. La seule raison qu’ils pourront alléguer, c’est qu’ils n’ont de rapports que de la Livonie, et ce sera précisément un motif pour Vous de prendre une mesure extraordinaire pour obtenir ce que la négligence des régences des 3 autres gouvernements2 n’a pas encore livré, et que sans cette mesure elle ne livrera de longtemps. Quand à ma personne, ne craignez pas des désagréments, mon Bien-Aimé. Sûr de la fermeté de Vos intentions je n’aurai nul sujet de me fâcher et pour m’assurer encore plus de moi-même je lirai là un mémoire à peu près comme celui que je Vous ai présenté, mais dont j’éloignerai toutes les vérités qui pourraient aigrir (sang froid!), de même que la proposition principale concernant le mode d’exécution. Je suis ferré à glace. Cette séance passée, si Vous en demandez d’abord le résultat au Ministre, de même que mon mémoire et mon plan que Vous envoyâtes il y a bientôt 2 ans au Directoire, Vous serez en possession de tout ce qu’il faut pour porter un décret définitif sans avoir en aucune manière dérogé à la forme.
Vous ne voulez pas me causer de désagrément, permettez-moi de ne pas vouloir Vous aliéner davantage des personnes dont Vous avez besoin. Klinger m’a dit hier au soir qu’il a eu une scène bien désagréable au sujet des représentations que l’on Vous a faites sur le Gymnase de Mitau. La plupart de ces messieurs ne savent pas tenir aux principes, et cèdent aux sollicitations de tout le monde3. Il en a coûté trois ans de guerre ouverte avec ce gymnase et la noblesse de Courlande pour mettre enfin cet institut sur un pied qui réponde au but. C’était autrefois un institut hermaphrodite qui, gouverné dans le sens philanthropique, contenait toutes les espèces d’études, où dans trois ans on voulait faire des jeunes gens ce que nous pouvons à peine en faire par des études de 9 années dans les écoles de district, les gymnases et l’université. On a employé toutes les ruses et avaries possibles pour arrêter la régénération de ce gymnase et éluder le rescript particulier que Vous avez donné à ce sujet. L’offre que fait la noblesse d’augmenter les fonds de cette école tend uniquement à rétablir l’ancien désordre pour parvenir enfin à obtenir par là le droit de ne pas faire étudier les Courlandais à Dorpat. Si ces messieurs sont vraiment patriotes, qu’ils employent la somme annuelle qu’ils Vous offrent à améliorer le sort des maîtres en leur donnant les logements que la Couronne ne peut pas leur donner, ou l’équivalent en argent. Par là ils seront sûrs de toujours avoir les meilleurs maîtres qui soient dans tout l’Empire et peut-être en Europe. La seule chose qu’ils puissent réclamer, c’est que leur ancienne constitution ne soit abolie que par un ordre immédiat et formel énoncé de Vous, et non pas seulement par un décret du Directoire