4. Si Vous voulez entrer dans les détails de cette affaire, je suis à même de Vous les fournir. Ils me sont encore très présents. Klinger pourra de même Vous les donner.
Permettez-moi de Vous rappeler l’affaire de Sonntag et des patentes des professeurs comme choses de moins d’importance que les grandes affaires font aisément oublier.
Bon jour, mon Bien-Aimé! Je suis bien plus heureux depuis la dernière soirée que Vous m’avez accordée.
Votre Parrot
108. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg], 27 janvier 1807
Sire!
Lorsque Vous me parlâtes de la gazette estonienne qui s’imprimait à Dorpat1, je ne pus Vous répondre que des intentions du rédacteur, ni moi ni les professeurs de l’Université ne pouvant alors juger pour nous-mêmes de son contenu parce que nous ne savons pas l’Estonien; nous en avions confié la censure au premier pasteur de Dorpat2 qui à d’autres égards doit savoir le mieux ce qui convient de dire au paysan des environs de Dorpat. À présent j’ai reçu une traduction officielle de tous les articles qu’on appelle politiques de cette gazette, et après l’avoir lue j’ai été indigné de la vile manœuvre de Mr. de Pistohlkors, de la facilité avec laquelle le Comte Kotschubeÿ, sans examiner mûrement la chose, soupçonne l’Université de mauvaise volonté dans son avis à notre Ministre, et de la tranquillité avec laquelle notre Ministre a supporté cela sans demander une déclaration de la part de l’Université. Cette gazette contient principalement quantité de préceptes utiles pour l’économie et la morale du paysan, des exemples de patriotisme et de bonnes actions en général et en outre à chaque feuille un petit article d’événements politiques. Il n’est parlé que dans le 1er No. de la bataille d’Austerlitz, et comment? Les propres termes sont: «L’année passée vers Noël il y a eu une grande bataille entre les russes et les français près d’Austerlitz, ville d’Allemagne». Et puis, sans parler des suites, sans dire qui l’a perdue ou gagnée, on raconte deux traits de bravoure russe, l’un d’un enseigne qui s’est enveloppé de son drapeau, l’autre du jeune fils de Buxhöwden qui doit avoir accompagné son père dans les endroits les plus dangereux. Le seul passage où d’ailleurs il soit parlé de la Russie comme puissance belligérante est celui où on raconte les succès des russes en Perse, la trahison
Sire, si le gouvernement avait soldé un gazetier pour instruire le paysan conformément aux intérêts de la Russie, pour préparer les écrits et les sermons que les pasteurs doivent publier par Votre ordre parmi les paysans, il eût été impossible de s’en acquitter mieux. On dit que le paysan ne doit pas être instruit de ce qui se passe hors de sa sphère d’activité. En admettant même ce principe il ne fallait pas prohiber la gazette purement et simplement, mais seulement les articles politiques. Mais ce principe est-il admissible? Je Vous ai dit, et je m’engage à le prouver de toute manière, que le paysan est instruit des événements politiques, par les domestiques des seigneurs, c.à.d. par la partie la plus corrompue des paysans. Cela même serait déjà un motif pressant de le mieux instruire pour détruire les fausses idées. En outre il se trouve des moments de crise où l’on a besoin du gros de la nation. Instruit à faux comme il l’est, dénué de toute source pure pour raisonner ou déraisonner sur ce qu’on lui demande, la proclamation qui arrive subitement ne peut pas faire l’effet désiré; on n’a point de confiance à un tableau que le gouvernement offre, et qui contraste avec les fausses idées qu’on avait.
Permettez-moi de passer de ces considérations particulières à des idées générales sur la censure. Votre Parrot ne peut pas Vous induire à erreur. Votre cœur et l’expérience Vous en assurent.
Vous avez donné le règlement de censure le plus beau, le plus humain, le plus raisonnable qui ait été jamais donné4. Vous avez déclaré dans ce règlement que la censure doit non arrêter mais protéger les progrès de la littérature et la vraie liberté des idées, que les passages d’un livre sujets à double sens doivent être interprétés en faveur de l’auteur, que l’on peut écrire et censurer les actes du gouvernement pourvu que cela se fasse avec modestie et dans l’intention du bien public. Les principes qu’on suit dans l’exécution sont diamétralement opposés à Vos principes, à ceux que Vous avez annoncés à la Russie et à l’Europe. Le journal de Heideke à Moscou a été anéanti et l’auteur persécuté5, sous prétexte de quelques fredaines que je désapprouve moi-même mais qu’il suffisait d’interdire, si le vrai but n’eût pas été de faire taire un journal qui découvrait avec véracité, et sur la foi du règlement de censure, des abus énormes d’administration. On défend une gazette estonienne, non seulement innocente, mais utile à tous égards, sur la délation de Pistohlkors connu comme un mauvais sujet, uniquement pour jeter un jour pernicieux sur l’Université de Dorpat; on saisit un petit ouvrage (que Vous examinez à présent) par lequel l’auteur s’acquiert des droits à Votre reconnaissance6 – et dans chacun de ces cas l’Université de Dorpat est maltraitée. Sire! Envisagez la chose sous tous les points de vue possibles, et Vous verrez combien cet esprit de vétilles qui s’est emparé de Vos Ministres, de ceux mêmes qui avaient autrefois les idées les plus libérales, nuit à la solidité et à la gloire de Votre gouvernement. L’Université se trouve toujours entre deux feux, son devoir de suivre le règlement que Vous avez donné, et le mauvais esprit qui règne ici. Si elle suit le règlement on la persécute, si elle ne le suit pas le public lui demande compte d’une sévérité contraire à Vos intentions manifestes, elle trahit ses devoirs, elle hasarde une partie de Votre gloire à l’intérieur et surtout à l’étranger. Vous Vous souviendrez que j’ai prévu que Bonaparte en s’approchant de nos frontières sentait son défaut de moyens, uniquement par le principe que la tyrannie est engendrée par le sentiment de sa propre faiblesse. Ce principe est général, et on taxera Votre gouvernement de faiblesse si Vous permettez qu’on agisse contre l’esprit d’humanité et de loyauté qui caractérise Votre règlement de censure. Sous Catherine IIe il n’y avait point de règlement de censure, mais la censure était douce, et pendant tout son règne on a à peine prohibé autant de livres que sous le Vôtre.
Peut-être je m’exprime durement. Mais Vous me connaissez. Je ne puis rien pallier dès qu’il s’agit de Vous lorsque je Vous parle. N’oubliez pas que c’est Vous qui êtes responsable de tout, que, de la manière dont on traite les choses, la responsabilité dont Vous avez chargé les Ministres lors de l’établissement des Ministères, retombe sur Vous seul. Ne Vous fâchez pas de la voix austère de Votre ami, qui ne veut d’autre jouissance que celle de Vous aimer, qui cherche tout son bonheur dans Votre cœur et dans Votre bien-être.
Votre Parrot
Retournez à Vos principes, à Vous-même; employer le levier puissant de la publicité pour amener Votre nation, Vos grands même, où Vous voulez les avoir. Vous sentez Vous-même que les meilleures ordonnances sont insuffisantes. Vous comptez sur l’éducation, sur l’instruction publique et avec raison. La publicité est l’éducation de la nation. Mais si, en anéantissant la publicité, on rend suspects les instituts qui doivent y veiller, si on les moleste dans leurs fonctions, que pouvez-Vous espérer de ces moyens? Dorpat s’est jusqu’à présent préservé de la corruption qui doit en résulter. Nous sommes encore attachés à nos devoirs, mais si on continue à agir contre nous, je pourrai Vous fixer à quelques mois près l’époque de notre corruption. Nulle part on n’a vu 28 héros rassemblés. Nous lèverons nos vœux à être libres, c.à.d. à agir dans Vos principes. Le reste nous est étranger, et c’est le sens dans lequel je voudrais que Vous nous traitassiez. Point de distinctions extérieures, mais que personne ne puisse nous empêcher impunément de faire notre devoir.
Que ne pourrais-je pas Vous dire encore sur cet article important de la publicité? Vous savez qu’on a pour maxime de n’instruire la nation de rien. Même la Gazette de Pétersbourg est dans un état pitoyable7. Storch a fait plusieurs propositions pour la rédiger d’une manière plus digne de Votre règne; mais il ne peut pas percer.
Je Vous ai parlé avec zèle en faveur de la publicité. Ne croyez pas que je croie pour cela qu’il faille être léger sur cet objet important. Combien souvent j’eusse voulu écrire! Combien j’ai de matériaux intéressants! Et cependant depuis que je suis à Dorpat je n’ai écrit que des traités de physique et de chimie pour les journaux étrangers, parce que je sens que ce n’est pas à moi de plaider la bonne cause en public, la providence et Votre cœur m’ayant confié le droit de la plaider devant Vous.
109. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg], 30 janvier 1807
Sire!
Tout conspire contre Sonntag. Le Kameralhof de Riga a fixé le 31 janvier, le 6 et le 8 février de cette année pour les 3 termes auxquels on donnera au plus offrant la terre de Colberg à ferme et a publié ces termes par la feuille hebdomadaire. Si Vous êtes décidé comme autrefois à affecter cette terre à la surintendance générale de Riga et à mettre Sonntag en état de vivre de sa place, il n’y a pas un jour à perdre pour donner ordre au Ministre des finances de suspendre l’encan que le Kameralhof a publié.