Veuillez, je Vous en supplie, m’accorder demain au soir quelques minutes pour Vous remettre le plan et un projet de rescript pour ma mission, afin que quand Vous verrez le Ministre samedi matin Vous puissiez lui donner Vos ordres. Ce n’est point impatience, ce n’est point obstination ce qui me fait faire cette prière; c’est la persuasion intime que j’ai que la chose ne peut pas se remettre. Si je pouvais Vous épargner ces désagréments, avec quelle satisfaction je le ferais! Vous savez combien je Vous aime. Vous devez donc sentir combien je souffre.
Votre Parrot
119. Alexandre IER à G. F. Parrot
[Saint-Pétersbourg, 8 mars 1807]1
Il est huit heures et j’ai encore le comte Wassilÿef, qui doit travailler avec moi, il sera donc beaucoup trop tard quand il aura fini, de Vous recevoir. Je Vous propose de venir demain à huit heures, par conséquent nous aurons fini avant que le ministre n’arrive.
[Paraphe]
120. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg], 10 mars 1807
Mon Alexandre chéri! Je suis sorti hier de chez Vous l’inquiétude dans l’âme. À mon arrivée et pendant tout le temps que j’ai passé près de Vous Vous étiez préoccupé. Des soucis, du chagrin même, étaient peints sur Votre physionomie, Vous Vous efforciez de les renfermer dans Votre intérieur pour faire ce que Vous appelez Votre devoir, et Vous oubliiez que tout près l’amitié la plus tendre Vous observait, attendait avec impatience le moment de l’épanchement
Fiez-Vous à Votre ancien Parrot. Vous Vous le devez à Vous-même, à l’amitié sacrée qui nous unit, même dans le cas où moi, je serais la cause de Votre chagrin. – Je suis vivement attendri. Que ne puis-je Vous communiquer cette émotion, Vous tendre en cet instant les bras, Vous presser sur mon cœur, Vous forcer par ma tendresse soulager le Vôtre1!
121. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg], 13 mars 1807
Combien il m’en coûte de Vous écrire en ce moment! Je sens de quel poids d’affaires majeures Vous êtes chargé. Mais Vous êtes le seul au monde qui connaisse ma position, le seul qui puisse la décider, le seul auquel mon cœur veuille et puisse avoir recours.
Vous m’aviez fait espérer que je pourrais partir vers le milieu de cette semaine. Les raisons de hâter mon départ Vous avaient persuadé. Votre propre départ est proche, la moitié de cette semaine est passé, et je ne sais encore rien de ce qui regarde mon affaire principale; j’ignore si le plan est copié, si Vous l’avez signé, si le Ministre l’a reçu, si le rescript pour mon voyage existe. Que ne suis-je appelé à attaquer une batterie ennemie! Le sentiment que j’avais en le faisant serait délicieux, comparé à celui que j’éprouve en Vous obsédant journellement par mes lettres. Jamais je n’ai prouvé plus d’attachement à mes devoirs et à Vous qu’en ce moment. N’en veuillez pas pour cela à Votre ami.
Votre Parrot
122. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg], 15 mars 1807
J’ai appris hier après la séance du Directoire que mon Bien-Aimé ne m’a pas oublié. Vous avez donné le plan des écoles paroissiales au Ministre; les membres l’ont signé par voie de circulation chez eux; il ne manque plus que Votre propre signature pour sanctionner ce bienfait insigne que Vous accordez à l’humanité. Mon Alexandre! Combien je Vous suis reconnaissant! Reconnaissant? Non, c’est trop peu pour Vous exprimer le sentiment que j’éprouve pour Vous. Mon cœur me dit que si Vous avez terminé cette affaire importante par amour pour Votre peuple, la manière dont Vous l’avez terminé se rapporte à moi. Combien je dois Vous aimer! Combien je Vous aime. – À présent c’est mon tour d’agir. Alexandre! je Vous promets que j’agirai comme Vous le désirez. Je connais Votre cœur, Vos intentions; je m’y conformerai; Vous serez content de moi.
Vous m’avez promis encore une entrevue. Je ne puis pas y renoncer volontairement; quelques minutes seulement. Cette fois je ne serai pas indiscret. Je voudrais recevoir de Votre propre main le rescript pour ma mission, Vous remercier de bouche et de cœur, Vous serrer dans mes bras. – Vous partez peut-être pour longtemps; Vous partez pour l’armée. Puis-je me défendre de quelque inquiétude? O mon Alexandre!
123. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg, 17 mars 1807]
Le lendemain de Votre départ.
Je suis navré de douleur. Les écoles paroissiales sont remises. Je pars demain le poignard dans le cœur.
J’ai été chez le Ministre, prendre congé, espérant qu’il me donnerait le rescript pour ma mission. J’ai reçu pour toute réponse, en lui demandant ses ordres, que l’affaire des écoles paroissiales doit Vous être envoyée encore. J’ai appris ensuite par un de ses secretaires qu’il ne Vous avait pas apporté le Doclad à Votre départ, et que la chose était remise par cette raison. Mais j’ignore si le plan que le Ministre a fait circuler pour la signature est le vrai (vraisemblablement ce ne l’est pas, car Vous l’aviez encore le moment de Votre départ
J’ignore ce qui s’est passé depuis le moment que je Vous ai quitté. Mais je sais ce qui en cet instant doit avoir lieu, si la chose doit se faire, si Vous voulez prouver que les circonstances les plus critiques ne peuvent pas Vous détourner un instant de Vous principes. Envoyez le vrai plan au Ministre, déjà signé de Votre main, avec ordre de le publier sans délai. Envoyez-lui le rescript de ma mission, signé de Votre main, avec ordre de me le mettre sur le champ. La feuille ci-jointe en contient les 3 points. C’est quinze jours de perte, je le sens; mais je terminerai pourtant avant le semestre prochain et dans Votre sens. J’y employerai des efforts plus qu’humains; je réussirai, et le mois de septembre verra naître les séminaires.
Je joins le petit mémoire de Klinger. Je crois qu’il Vous plaira. (L’ensemble Vous plaira par sa précision et sa clarté, supposé qu’aucune partie de ses vues ne soit nouvelle pour Vous.) Témoignez-le-lui, pour l’aménager à se rapprocher de Vous. Sa modestie, non son cœur qui Vous est entièrement dévoué, lui tient éloigné.
Adieu, mon Bien-Aimé. Le ciel Vous protège et avec Vous la cause de l’humanité!
124. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Dorpat], 14 avril 1807
Nous sommes au milieu d’avril, et rien ne s’est fait pour les écoles paroissiales; rien n’est venu de Pétersbourg. Je commence à regretter d’avoir préféré mon devoir pour ce travail aux délices de Vous suivre à l’armée. Mon Bien-Aimé! Je rougis de cet aveu; mais jugez par là combien il doit Vous être important de soutenir avec vigueur le bien que Vous commencez. L’honnête homme, quelque décidé que soit son caractère, n’est pas à l’abri de ces moments de découragement si intimement liés à la nature humaine. – Je tiens à mon devoir; j’y tiendrai jusqu’au dernier soupir; et depuis Votre départ j’ai agi en conséquence. J’ai travaillé d’ici dans le sens du règlement pour les écoles paroissiales, avec tous les ménagements possibles, il est vrai, mais cependant ce règlement n’est pas publié; le rescript qui m’autorise n’est pas encore rendu, il est à craindre que les autres autorités, qui dans d’autres cas se permettent d’agir ouvertement contre Votre volonté, ne témoignent dans celui-ci une activité funeste. Vous savez que tout doit être terminé pour la fin de juillet, si Vous ne voulez pas donner encore une année aux machinations. Et puis, Vous savez combien je désire que cette grande question sur l’instruction publique de la classe la plus nombreuse de l’humanité soit décidée précisément dans ce moment de crise, et que Vous prouviez par là à Votre nation et à la postérité que rien n’a pu Vous ébranler dans Vos principes. Vous avez témoigné cette fermeté de caractère, mais à moi seul. Pourquoi voulez-Vous Vous ôter l’avantage de Vous montrer tel que Vous êtes et frustrer Votre nation et l’Europe de Vous aimer, de Vous admirer davantage? – Je suis sûr que Vous me comprenez et que Vous ne regardez pas ce langage comme tendant à Vous inspirer de la vanité. Tous les degrés d’estime que Vous méritez ne sont pas Votre propriété seule. Ils sont aussi la propriété de Votre nation et de tous ceux qui espèrent en Vous. L’objet dont Vous Vous occupez à présent est, il est vrai, le plus important. Mais la fermeté que Vous y déployez Vous est commandée par les événements, et Vous appartient par là en quelque sorte au moins. Vous êtes forcé de faire exception à la règle des monarques de nos jours. Mais tout ce que Vous faites pour l’instruction publique Vous appartient, n’appartient qu’à Vous seul. Aucun motif de danger ni de crainte n’y peut avoir d’influence, bien au contraire!