à Votre Parrot.
P. S.
Permettez-moi de Vous rappeler l’objet de ma dernière lettre, l’emploi des 6000 Roubles. Je suis dans l’embarras. Le peu de mots que je Vous prie de m’écrire là-dessus me parviendront sûrement par Gessler et Klinger.
140. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Dorpat], 13 décembre 1808
Mon Bien-Aimé!
Il y a un an et demi que je n’ai eu le bonheur de Vous voir, excepté le peu d’instants que Vous avez passez à Dorpat pendant qu’on changeait Vos chevaux. Mon cœur en murmure. Vous connaissez le besoin qu’il a de se rapprocher de Vôtre, de renouveler les moments heureux d’autrefois. J’arriverai pour le nouvel an à Pétersbourg et je Vous apporterai quelque chose de mon invention qui, je crois, Vous fera plaisir1. Si toutefois Vous prévoyez que le voyage du Roi de Prusse ou quelque autre incident Vous empêchera de m’accorder quelques moments, instruisez en Votre Parrot. Ma santé, mon travail, les frais de voyage, la tristesse qui s’emparerait de moi si ce voyage était inutile, tout m’impose la loi de rester si je n’ai pas la certitude de voir mon vœu s’accomplir.
Adieu, mon Alexandre!
Votre Parrot
141. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg], 10 janvier 1809
Me voici depuis Mardi dernier à Pétersbourg1. Je ne Vous l’ai pas annoncé plus tôt pour laisser passer les grandes fêtes que le séjour du Roi et de la Reine ont occasionnées. Si Vous pouviez bientôt m’accorder quelques instants, Vous me rendriez heureux. Mon cœur le désire vivement et les affaires que j’ai à Vous présenter sont d’une grande importance et nombreuses.
Votre Parrot
142. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg, 21 janvier 1809]
À présent que Vos Hôtes Vous ont quitté1 permettez-moi, mon Bien-Aimé, de me rappeler à Votre souvenir. Vous savez combien mon cœur désire ne pas être oublié de Vous, et le temps de mon départ approche. Des 30 jours de vacances que j’ai 20 sont déjà écoulés, et j’ai à présenter des choses que Vous jugerez Vous-même être d’une grande importance et qui pourront à peine être terminées dans ce court espace de temps. Si Vous aimez Votre Parrot, prouvez-le-lui en ne le faisant pas trop attendre; les jours et les semaines s’écoulent si vite.
143. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg], 26 janvier 1809
Sire!
J’ai presque honte après la longue soirée d’hier que Vous m’avez accordée de revenir si tôt à la charge. Mais c’est pour Vous prévenir sur le mélange d’une parcelle d’argent à la nouvelle monnaie de cuivre dont Vous m’avez parlé et que je crains de voir décrétée au Comité des Ministres.
Celui qui Vous a proposé cette idée n’a calculé ni la chose ni les hommes, sans cela il s’est trouvé que cette idée est ou impraticable ou pernicieuse. Il n’y a que deux manières possibles d’exécuter ce mélange: Ou l’on met cette parcelle d’argent dans la fonte en alliage, ou l’on ne fait qu’argenter les pièces. Pour le premier cas la Russie ne fournira pas dans 20 ans l’argent nécessaire; car en supposant que cette parcelle alliée ne soit que 1/100 du poids de la monnaie, et à cette proportion le peuple ne s’apercevra pas encore à la coûter que sa monnaie n’est pas du simple cuivre, il faudrait une masse immense d’argent; car en supposant 100 millions de Roubles en cuivre à refondre, cela fera un poids de plus de 60 000 Puds d’argent nécessaires pour cet alliage. Si la Russie avait une masse pareille d’argent à sa disposition les assignats servaient plus qu’au pair de l’argent.
Si on voulait seulement argenter le nouveau cuivre, le peuple s’en apercevrait d’abord et déclarerait cette nouvelle monnaie fausse, sans qu’on puisse après coup lui faire entendre raison là-dessus. Le gouvernement serait compromis, l’amour et l’estime du Souverain perdus.
Il vaut beaucoup mieux être vrai tout simplement; le peuple peut être éclairé, parce qu’il s’agit ici de son propre intérêt et je m’engage à faire la minute d’une proclamation à cet égard qui fera sûrement l’effet désiré.
Vous voyez, Sire, avec quelle légèreté on Vous présente des projets et je crains que le collège des Ministres, dont deux seuls entendent ou doivent entendre cette partie, ne prenne des mesures fausses. Choisissez le mode que je Vous proposais hier. Le Ministre des finances, du commerce, Würst et moi pourraient composer un comité particulier auquel Vous présideriez, où Vous entendriez les raisons de part et d’autres; c’est l’affaire de deux heures. Ensuite Vous pouvez présenter la chose au comité officiel des Ministres. Donnez-moi à travailler pour le peu de jours que j’ai encore à rester ici. Je voudrais Vous servir, mon Bien-Aimé, chaque jour, chaque heure de ma vie.
Deux Ministres ne peuvent point réputer à déshonneur de siéger avec un homme comme Würst parfaitement versé dans la chose en question et avec un Professeur de Physique qui n’est pas le dernier dans sa partie. Ne prenez pas cela pour de l’orgueil de ma part. Vous savez que je fuis le commerce des Grands comme les distinctions. Mon seul désir est que Vous agissiez avec le plus de sûreté et de célérité possible. Une bonne chose ne doit pas être remise.
144. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg, 30 janvier 1809]
Nous avons aujourd’hui le 30, mon Bien-Aimé! C’est proprement le terme où je devrais retourner à Dorpat. Ne Vous serait-il pas possible de m’accorder ce soir une heure? Outre le télégraphe j’ai encore des choses de la plus grande importance à Vous présenter sur l’instruction publique. Mr. Spéransky m’a fait dire d’aller demain chez lui pour l’Ukase que je Vous avais prié de donner1. – S’il Vous est possible, daignez me faire appeler ce soir2; demain Vous avez l’hermitage et le commencement de la semaine est rarement le temps où Vous pouvez me voir.
Pardonnez-moi mon importunité. Mais je n’ai de toute l’année que ce mois de janvier pour être ici. Ne Vous fâchez pas contre
Votre Parrot.
145. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Saint-Pétersbourg, 31 janvier 1809]1
Mon Bien-Aimé!
Je prends les arrangements concernant le télégraphe pour partir demain, Mr. de Spéransky m’ayant promis les patentes pour aujourd’hui. Permettez-moi de faire mon testament à mon ancienne manière, c.à.d. de Vous rappeler brièvement les objets principaux que je Vous ai présentés de bouche.
La refonte des monnaies de cuivre. L’objet est très important pour Votre peuple et pour Vous-même. Ne le perdez pas de vue. Hâtez en l’exécution. Ce que Vous reconnaissez pour bon ne doit pas être remis.
Le changement si nécessaire dans le ministère de l’instruction publique. Mon Alexandre! Si je devais mourir demain et que j’eusse à Vous donner le dernier conseil, celui que je croirais le plus salutaire, le plus digne de Votre règne, ce serait celui que je Vous ai donné hier. Vous sentez que ce n’est que l’instruction de Votre nation qui peut Vous former une meilleure génération pour Vous servir, Vous et Votre peuple, et ce beau projet que Vous avez conçu est inexécutable si Vous ne le confiez à une main ferme et sûre. Klinger est le seul qui puisse le réaliser. Il a combattu pendant 6 ans infructueusement. Donnez-lui l’autorité nécessaire. Relevez son espérance abattue par l’idée que Vous l’avez rebuté en lui refusant la seconde classe de l’ordre de Wolodimir qu’il n’a pas demandée mais dont le refus l’a navré après trente ans de services rendus en homme de gloire et avec un attachement à Votre personne bien rare. Vous avez cette opinion de lui et c’est à Vous à dominer l’opinion des autres. Honorez-le aux yeux du public puisque Vous l’honorez intérieurement. Faites cela avant Votre départ pour la Finlande2. Je Vous en supplie. Titus ne perdait pas un jour. Vouloir réparer le mal en donnant des ordres spéciaux au Ministre n’aboutirait qu’à faire détester Dorpat encore davantage à cause de moi. Pour réussir il faut confier l’exécution de ce qui Vous est cher à des hommes qui aiment ce qu’ils ont à faire. Ce n’est qu’alors que Vous serez bien servi. Vous avez encore, m’avez-Vous dit, un homme de caractère à mettre à l’instruction publique3. Sire! il ne sera pas de trop. Faites-le Curateur de l’Université de Cazan. Rumofsky est absolument incapable et il est assez vieux pour mériter sa retraite.
Les écoles paroissiales. Vous n’avez rien décidé hier à ce sujet. Je Vous supplie de me dire par un billet crayonné de Votre main chérie si Vous voulez les établir ou non. Mr. Repieff me secondera sûrement dans l’exécution pour la Livonie. Peut-être que les frais pour les séminaires Vous en empêchent. Dites-le-moi, mon Bien-Aimé. Je suis occupé depuis 4 ans de cet objet important; cela me ronge. Donnez-moi une décision. Je souffrirai de la négative, mais je souffre bien davantage de l’incertitude.
Soyez charitable envers Sonntag. Voudriez-Vous que le besoin le forçât à chercher ailleurs son pain?
Adieu, mon Alexandre chéri! C’est pour une année entière. Soyez heureux en tout ce que Vous ferez! – Dieu puissant, protège Le. Conduis mon Bien-Aimé dans sa pénible et difficile carrière!
Annexe
[Mémoire sur la réforme des monnaies de cuivre en Russie]
La proportion actuelle de la valeur numéraire du cuivre à sa valeur commerciale est comme 16 à 30 ou 35. Ainsi la Couronne assure sur tout le cuivre qu’Elle fait monnayer une perte moyenne de 110 p. C. Cette perte en cause une seconde encore plus considérable; le cuivre monnayé se perd à l’étranger en contrebande ou est refondu dans les usines de cuivre, et la nation se trouvant par là appauvrie en numéraire tombe dans les mains des juifs de toutes les religions.
Pour faire rester le cuivre monnayé en circulation il n’est qu’un moyen, celui de le monnayer à un titre qui réponde à sa valeur dans le commerce, c’est à dire le poud à 35 Roubles. La Couronne y gagnera annuellement 118 ¾ p. C. Il y a deux manières de faire cette opération.
La première et la plus simple est de faire battre la nouvelle monnaie au nouveau titre et de donner un titre double à l’ancienne sans la rebattre d’abord. Pour la faire disparaître petit à petit il suffira de donner sur l’échange deux ou trois pour Cent de profit, ce qui peut se faire sans perte de la part de la Couronne, les anciennes monnaies étant de 118 ¾ pour Cent plus pesantes que ne seront les nouvelles. Ce petit profit qu’on accordera sur l’échange fera refluer petit à petit les anciennes monnaies aux hôtels des monnaies et au bout de quelques années elles se trouvent d’elles-mêmes hors de cours. Cette opération a le désavantage de frustrer la Couronne du profit du moment qui est considérable.
La seconde manière d’opérer consiste à rebattre d’abord les anciennes monnaies. La difficulté est de les faire refluer en peu de temps dans les hôtels des monnaies. Pour y parvenir il suffira d’abandonner une partie du profit aux particuliers en publiant une ordonnance qu’au bout d’un certain terme les vieilles monnaies n’auront plus de valeur numéraire et qu’elles doivent être échangées en sorte que pour 5 copeeks de vieille monnaie le particulier recevra 6 copeeks de nouvelle monnaie. Le paysan le plus ignare préférera un gain sûr de 20 p. C. à la perte totale de son numéraire, et dans les contrées où cela n’aurait pas lieu, on peut s’en fier à l’adresse des marchands et des usuriers qui sauront soutirer l’ancienne monnaie pour s’approprier le profit du change.
Pour exécuter cet échange il faudra préalablement faire battre à tous les hôtels des monnaies le plus de monnaies nouvelles qu’il sera possible et établir dans toutes les villes quelque petites qu’elles soient des bureaux d’échange où l’on fera transporter la nouvelle monnaie et d’où la vieille sera transportée aux hôtels des monnaies. Ce double transport se fera aux frais de la Couronne, mais à un prix fixé par Elle moindre que le prix courant mais suffisant pour couvrir les frais que les voituriers par terre et par eau auront à ce transport. Les voituriers et bateliers de tout l’Empire seront pour cet effet mis en réquisition chacun en proportion de ses forces. Comme cette partie de la nation a fait dans ces derniers temps des profits énormes il est juste qu’elle contribue sans profit et sans perte à cette opération de l’État.
Dans la supposition que tout le numéraire en cuivre à présent en circulation se monte à 100 Millions de Roubles (il est presque impossible de l’estimer au juste) sa valeur sous le nouveau titre sera de 218 ¾ Millions, et comme la Couronne donnera 20 p. C. d’agio à l’échange, elle paiera 120 Millions en nouvelle monnaie et aura par conséquent un profit de 98 ¾ Millions. Mais il faut en déduire les frais de transport. Les 100 Millions de vieille monnaie feront un poids d’environ 5 ½ Millions de Pouds et on peut admettre que le transport de chaque Poud revienne à un prix moyen de 1 Rbl. Par conséquent le double transport de cette masse de cuivre reviendra à 11 Millions de Roubles, qui déduits des 98 ¾ Millions laisseront un produit net de 87 ¾ Millions.
Cette opération loin de nuire au cours des assignats lui sera favorable. D’un côté il est généralement connu que le cuivre en circulation ne peut plus servir d’hypothèque à la quantité d’assignats existante. La preuve en est dans la difficulté de change, difficulté qui dans quelques provinces va jusqu’à l’impossibilité. D’un autre côté, la Couronne se trouvant en possession de 87 millions de Roubles en cuivre monnayé de plus qu’auparavant et dont le transport est de moitié plus facile, Elle rétablira les anciennes banques, où l’on pourra journellement convertir les papiers en cuivre, d’autant plus facilement que, le cuivre monnayé ne disparaissant plus, sa quantité augmentera d’année en année et servira enfin d’hypothèque réelle proportionnée aux assignats en circulation.
On objectera peut-être contre tout ce projet que le peuple, surtout dans les provinces de l’intérieur, en murmurera. Mais si cette objection était fondée il s’en suivrait que jamais aucune réforme ne pourrait avoir lieu dans les monnaies, que le cuivre pourrait atteindre une valeur commerciale décuple de sa valeur numéraire sans qu’on osât changer son titre, et que par conséquent la nation devrait finir par n’avoir plus de monnaie. Le gouvernement doit, il est vrai, être assez sage pour ne pas abuser de la possibilité de pareilles opérations; mais il doit en même temps être assez vigoureux pour les faire et les soutenir quand elles sont nécessaires. Et pour le cas présent il ne s’agit pas même de vigueur. Il suffit d’éclairer la nation sur ses vrais intérêts. Les idées sur lesquelles roule le système des monnaies ne sont pas si abstraites qu’il ne soit possible de rendre populaires celles qui tiennent à la réforme en question. Il ne faudra par conséquent que publier ces idées par les voies ordinaires et extraordinaires que le gouvernement a en main.
Enfin il serait à désirer que les nouvelles monnaies portassent l’image du Souverain; le peuple y attache du prix avec raison; il se plaît à voir souvent l’image d’un Monarque qu’il adore, d’autant plus qu’il a si rarement le bonheur de le voir en personne.