On offre pour sûreté la vente des domaines. Mais a-t-on calculé d’avance le prix auquel cette vente pourra s’effectuer? Le terme du remboursement est fixé à 7 ans. Ainsi, Sire, on met les domaines à un encan forcé. Les acheteurs se garderont d’acheter de bonne heure; ils attendront l’approche du terme, cela s’entend de soi-même, et Votre parole engagée forcera la vente à tout prix, sans compter les fraudes qui ne manquent jamais en pareille occurrence.
Sire! Je ne suis pas financier, quoique j’aie étudié cette partie dans ma jeunesse. Cependant permettez-moi de Vous faire un mémoire sur les moyens d’améliorer les finances. Il est dans principes sûrs et simples, surtout pour la Russie (pays d’agriculteurs), indépendants de toutes les subtilités dont les Smiths et leurs commentateurs nous font regorger. Je voudrais Vous les offrir avec leur application immédiate à l’état actuel. Discutez-les ensuite avec les hommes de métier. J’y parlerai aussi de l’emprunt, mais (je Vous le promets) avec plus de ménagement qu’à présent et je parlerai dans ma seconde supposition, que l’emprunt ne se remplira pas, pour n’offrir que le côté le moins offensant de la chose.
Sire! Quand on Vous offrira des projets compliqués de finances, de ces projets surtout où l’on ne considère l’État que comme le bureau d’un banquier, ressouvenez Vous que Sully et Colbert n’avaient pas toutes ces finesses, que le premier a mis la France, ruinée par les guerres civiles, en peu d’années dans un état florissant et que le second a fourni les fonds pour les guerres éternelles de Louis XIV sans fouler la nation. Frédéric II, qui nous est plus proche, en a fait de même pour la Silésie et le Brandebourg. Il savait prendre, il est vrai, mais il rendait davantage en créant l’industrie.
Je souffre de la peine que Vous fera cette lettre. Mais devais-je me taire? – Non sûrement. Votre Parrot ne le peut, tant que Vous ne repousserez pas sa confiance.
151. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Dorpat], 22 août 1810
Sire,
Oubliez
Je n’ai aucun intérêt personnel à Vous retracer un tableau sinistre. Mais l’intérêt profond que j’ai pour tout ce qui Vous touche me force de Vous parler. Je Vous
O combien je m’estimerais heureux de Vous ramener sur la bonne voie dont les faiseurs Vous ont écarté! Dites-moi seulement si Vous voulez agréer que je Vous présente les idées simples et systématiques que j’ai sur cet objet si important.
Adieu, mon Alexandre! N’attendez pas une époque encore plus critique pour écouter Votre vrai ami. Ne méconnaissez pas sa ténacité à Vous aimer.
152. Alexandre IER à G. F. Parrot
[Saint-Pétersbourg, 3 septembre 1810]1
Vous êtes complètement dans l’erreur de Vous imaginer que j’ai quelque mécontentement contre Vous. Quelle raison aurais-je pour en avoir? Si c’est mon silence que Vous prenez comme signe de ce mécontentement, Vous oubliez qu’il m’est impossible d’entretenir avec Vous une correspondance suivie, par la nature et la quantité de mes occupations qui absorbent journellement tout mon temps. J’attends depuis longtemps les papiers sur les finances dont Vous m’avez parlé dans Vos précédentes lettres. Aussi ne me demandez jamais permission de m’envoyer des mémoires utiles, car je les reçois toujours avec plaisir et intérêt. Tâchez seulement de les faire copier par une main inconnue. La Vôtre l’est de beaucoup de personnes et m’empêche d’en faire le prompt usage que je voudrais.
Tout à vous.
[Paraphe]
153. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Dorpat], 5 septembre 1810
Je n’ai donc pas tout à fait perdu mon Alexandre! Que ne puis-je lui être utile comme mon cœur le désire! – Je ne Vous écris en ce moment qu’à la hâte, pour Vous annoncer la réception de Votre lettre; le courrier prochain Vous apportera mon travail que je suis obligé de refondre, la remarque que Vous me faites sur ma main m’ayant suscité une réflexion qui influe sur la forme que je dois donner à ce travail.
Ce n’est pas Votre silence que j’ai pris pour signe de mécontentement; je n’ai jamais espéré une correspondance suivie de Votre part; je sais trop bien que Vous avez trop à faire. (Vous Vous donnez trop à faire; Votre marche n’est pas assez simple.) Mais Vous avez, non pas oublié, mais abandonné le télégraphe d’une manière qui m’a peiné, et lorsque je Vous ai envoyé officiellement le premier volume de mon ouvrage sur la physique par le Curateur et le Comte Savadofsky, Vous n’avez pas daigné m’honorer de la formule usitée à l’égard du dernier étranger. Vous savez que je n’aspire à rien; mais on regarde cela comme un signe de mépris. Encore, si cette apparence de mépris Vous était utile, combien volontiers je m’y soumettrais! Mais on cite cela comme une nouvelle preuve que Vous abandonnez les personnes qui Vous sont les plus attachées et cela me navre le cœur.
L’Université a fait une addition aux lois des étudiants1. Il régnait dans ce moment un mauvais esprit que j’ai combattu sans succès. Ces nouvelles lois nous raviront une moitié de nos étudiants et détruiront la confiance de l’autre. On a cru qu’avec l’autorité on peut se passer de confiance et qu’on doit gouverner une Université comme un régiment. Si Vous n’avez pas encore signé ces nouvelles lois, je Vous conjure de ne pas le faire, et de remettre toute réforme à cet égard au temps fixé par les Statuts pour la révision générale qui doit avoir lieu l’an 1812. – J’aurais dû Vous écrire plus tôt là-dessus; peut-être est-ce à présent trop tard. Mais jugez de ce que j’ai souffert
Nous avons vu l’Impératrice, moi surtout dans le cabinet de Physique. Elle a des grâces qui échappent aux Poètes, mais qui saisissent l’homme de cœur de toutes les classes. Tout son mérite n’est pas encore connu. – Cette remarque est de l’observateur, non du partisan de la Chevalerie. Au reste j’espère qu’Elle ne Vous aura pas fait un rapport désavantageux de l’Université. Cette fois-ci nous avons su mettre de l’ordre, parce que nous en avions les moyens. Les étudiants ont mis dans les honneurs qu’ils Lui ont rendus non seulement de l’enthousiasme mais aussi le meilleur ordre possible, et nous ont servi merveilleusement à contenir la turbulence du public. Quand Dorpat aura le bonheur de Vous revoir à l’inauguration Vous Vous en convaincrez.
Adieu, mon Alexandre toujours chéri! Je vais au travail. Puisse le meilleur des esprits m’inspirer!
154. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Dorpat, 7 septembre 1810]1
Voici deux mémoires, mon Bien-Aimé, que je Vous envoie. Le grand est ostensible; faites en l’usage que Vous jugerez à propos. Le petit n’est que pour Vous seul; il est à quelques égard le plus important et traite des sujets différents de ceux du grand mémoire mais qui leur font intimement liés. La situation est bien critique. Mais avec de la prudence, de la fermeté et de la clarté dans les idées elle peut beaucoup changer à Votre avantage.
Ne multipliez pas les discussions. Exigez du Conseil des réponses promptes2. Si Vous goûtez mes propositions faites le sentir d’avance. Si Vous voulez consulter quelqu’un en particulier, je Vous propose Würst et Beck; le premier a des idées justes, celui-ci des idées fines et des connaissances vastes. Mais consultez-les en personne. Une demi-heure d’entretien vaut mieux que deux heurs de lecture. Surtout hâtez-Vous; ne perdez pas un jour. Que le nouvel arrangement pour la capitation, la vente des domaines et les impôts sur le luxe commencent au 1er Janvier; la nouvelle valeur de la monnaie de cuivre et la fabrication des nouvelles, la mise hors de cours des monnaies étrangères, la cessation de l’emprunt et la fixation du cours pour les contrats dès le moment même. Que Vos Ukases soient courts et clairs. Les derniers manquent d’ensemble et de clarté. Annoncez ces réformes comme permanentes. Votre nation s’inquiète des fluctuations et l’inquiétude est le poison de la confiance.
Mémoire
Depuis la paix de Tilsit Vous êtes dans un antagonisme perpétuel avec Napoléon. C’est lui qui a ruiné les finances de Votre Empire pour Vous affaiblir, et l’époque où il Vous attaquera ouvertement n’est pas loin. Je ne doute pas que Vous n’en soyez pleinement persuadé et je Vous épargne par cette raison le détail des preuves. Voici par contre Votre position. Votre gauche est saisie par l’alliance de l’Autriche; Votre droite va l’être par la Suède. La Prusse aura un Roi français pour s’assurer de la fidélité au centre des opérations. Et l’époque de la rupture sera celle où la réussite de quelques négociations aura mis la Suède avec le Danemark sous le sceptre de Bernadotte et soumis l’Espagne et le Portugal3. Employez cette période de répit pour Vous préparer. D’abord les finances; celles-ci avant tout; puis la guerre.
Vous commencez un système de défense en parallèles de forteresses. Je ne suis pas du métier. Mais êtes-Vous sûr
1) qu’un système de forteresse convienne à l’esprit militaire des Russes? Votre nation connait-elle la guerre des forteresses?
2) Avez-Vous calculé Vos moyens pour être sûr de former une ou plusieurs lignes de forteresse assez considérables pour arrêter l’ennemi? De petites forteresses ne le feront pas; leurs garnisons sont de trop peu de conséquence pour inquiéter une grande armée.
3) Aurez-Vous le temps de finir ce grand ouvrage, supposé que les moyens fussent en Votre disposition?
Si Vous ne pouvez pas répondre bien affirmativement à ces trois importantes questions, ne consumez pas Vos forces en vains efforts, ou projets à demi exécutés.
En tout cas profitez des bas prix du blé à Riga pour accumuler de grands magasins, et surtout soignez-en la conservation le mieux possible. Tant que Vos armées auront du pain, de la poudre et des armes Vous êtes sûr de Vos frontières.
Mon autre mémoire contient les propositions ostensibles pour le rétablissement des finances. En voici de nouvelles:
Rétablissez le commerce autant que possible sans sortir de Votre rôle de confédéré. Faites le faire par licences à l’exemple de Votre Allié même. Si lui se permet pour l’avantage de la France de donner des licences pour quelques branches de commerce, Vous en avez au moins autant de droit que lui à cette censure. Vos devoirs envers Votre nation Vous donnent ce droit. Donnez donc d’abord des licences pour les bois, les chanvres, le fer et le cuivre. Achetez les grains qu’il Vous faut pour les armées, et, ces contrats faits, donnez des licences pour cet objet
Ne Vous fâchez pas que je Vous conseille à présent une politique qui ressemble à de la faiblesse. Quand la guerre sera venue Vous reconnaîtrez Votre Parrot. Cette fois il sera à Vos côtés et il Vous donnera des motifs de l’avouer hautement contre lesquels on n’objectera rien. Quelques semaines de repos que j’ai données à ma tête m’ont fait retrouver une partie de ma santé; elle fleurira dans le tumulte de la guerre, au son du canon.
Faites la paix avec la Perse, plus tard Vous y serez forcé4. Mais faites-la promptement. Pourquoi des conquêtes à l’Orient que la Russie ne peut pas gouverner? Ne veuillez pas aller contre les lois de la nature. La Ladoga et le Golfe persique n’obéiront jamais au même maître.
Faites la paix avec la Porte. Ceci est plus difficile, depuis que les autrichiens entrent en Turquie. La France Vous a-t-elle proposé une combinaison à cet effet? Dans l’un et l’autre cas la position est difficile. Mais dans l’un et l’autre la paix est absolument nécessaire. Car lorsque Vous serez attaqués Vos armées au-delà du Danube sont tournées5. Prenez le prétexte des finances, quand Votre paix sera faite; car il faut la faire subitement, avant qu’on puisse Vous la gâter. Vous devriez la faire, réellement pour les finances, pour Vous faire payer les frais de la guerre en argent. Ce que Vous conserverez des provinces conquises, faites le administrer absolument comme auparavant. Établissez-y Ypsilanti en qualité de gouverneur général et contentez-Vous d’un ducat par tête, ce qu’il payait à la Porte, et de l’entretien de 30 000 Russes. C’est un homme de tête, d’une bonne politique et à ce que je crois de droiture. Sa présence sera regardée dans ces provinces comme le plus beau don. Les projets de culture et d’administration européenne doivent être ajournées.
On parle du rétablissement de la milice. S’il a lieu, je Vous supplie d’exécuter le plan que je Vous avais fait pour les provinces baltiques et la Pologne. L’humanité aussi bien que l’intérêt de l’État l’exigent. Des milliers de ces malheureux milices estoniens et livoniens sont morts de faim. Le Russe par contre saura se faire donner à manger dans ce pays-ci. On ne tentera même pas de lui faire éprouver la famine. De mauvais projets ont contredit alors pour emporter des décorations, et ont réussi.
Le moment d’être décidé est venu. Ne le manquez pas, mon Bien-Aimé! Agissez fortement quoique avec prudence. Je ne Vous donne que des esquisses, je le sens. Mais à quoi servent de longs traités? Le temps employé à les lire est perdu pour l’exécution.
La rupture viendra, mais elle ne viendra que quand il sera temps. La vigueur jointe à la politique ne peut que retarder cette époque. Trop de condescendance l’accélérera. Vous connaissez la politique et les guerres de Frédéric le Grand. Vous êtes dans sa position. Les moyens qu’on a contre Vous sont en proportion des forces que Vous avez de plus que ce grand Roi.
Annexe
[Mémoire sur les finances]
Inconnu au Gouvernement, mais pas tout à fait étranger aux affaires, j’ose présenter des vues sur les finances de la Russie qui sont en ce moment l’objet des plus importantes délibérations. Je regarde la situation actuelle de l’État comme une crise, et partant de ce principe je parlerai loyalement, sans fard, peu soucieux que mon travail soit une louange ou une critique de ce qui a été fait récemment.
Le Gouvernement a fixé dans ses derniers Manifestes le double point de vue sous lequel les finances de l’Empire doivent être considérées, les impôts et le cours des assignations. Je suivrai cet ordre, et sans m’arrêter à des discussions préliminaires qui ont lieu depuis deux ans, je présenterai d’abord mes idées que je me contenterai d’appuyer de principes que le Gouvernement reconnaîtra sûrement pour vrais.
Io) La Capitation du paysan et de l’artisan sont regardées à juste titre comme la principale source des revenus de l’État, tout le reste, le commerce y compris, étant à quelques égards précaire. Mais la capitation elle-même, levée comme elle l’a été jusqu’à présent,
«Que toute capitation soit mise sur le pied où elle était du temps de Pierre le Grand et que pour cet effet elle soit calculée en Tchetwerts de Seigle et perçue en papier monnaie sur le prix de chaque année dans chaque province».
Cette mesure est juste, s’appuie de toute l’autorité de grand Monarque que la Russie révérera toujours, et augmente considérablement les revenus de la Couronne. Le mode de perception est le suivant:
a) On cherchera dans les archives la proportion moyenne du prix du seigle pendant les dix dernières années du règne de Pierre le Grand, et comme la capitation du paysan était alors 1 Rouble, la capitation présente sera fixée à une quantité de seigle que l’on achetait alors pour 1 Rouble.
b) Le paysan sera tenu de fournir son contingent d’abord après la récolte, sans nulle exception, au magasin de la commune (là où il n’en existe pas on en bâtira); la commune nommera deux hommes de confiance pour vendre ce blé au moment et sous les conditions les plus favorables; et il lui sera laissé à cet effet tout le temps depuis la récolte jusqu’au 1er Mai.
c) La Régence de chaque gouvernement publiera le 15 Mars par patentes et par les gazettes le prix moyen du seigle en assignations et par là la valeur numéraire de la capitation.
d) La capitation sera payée irrévocablement le 1er Mai au prix fixé à l’article précédent. Toute commune qui n’aura pas payé à ce jour sera livrée à l’exécution militaire; les communes seules sont responsables du délai.
e) Si le prix obtenu par la vente du seigle surpasse celui de la capitation, le surplus sera distribué proportionnellement aux contribuants si la commune n’a pas d’ailleurs de magasin; si elle en a il sera employé à l’augmentation du magasin. Si le prix est au-dessous de celui de la capitation les contribuants suppléeront sur le champ au déficit s’il n’y a point de magasin, ou s’il y a un magasin, le déficit en sera tiré pour le moment. De manière ou d’autre cette opération doit être terminée avant le 1er Mai.
f) La capitation de l’artisan sera pour l’apprenti triple, pour l’ouvrier quintuple, pour le maître ou chef d’atelier décuple de celle du paysan, et calculée sur le même principe, sans distinction d’étrangers ou d’indigènes.
Cette manière de lever la capitation a les avantages suivants:
1) La Couronne perçoit chaque année un revenu réellement fixe, parce que ses dépenses sont en raison du prix des denrées de première nécessité.
2) Le paysan et l’artisan paient réellement à l’État une partie fixe du prix de leur travail.
3) Les redevances, arrérages etc. du paysan vis-à-vis de la Couronne deviennent impossibles, sans oppression, parce que le paysan est toujours en état de fournir son contingent d’abord après la récolte. Il le fournit en nature, et sa conversion en argent se fait au moins de frais et de peine possible. Les seigneurs pourront acheter ce blé en masse pour les eaux de vie, et si la commune juge plus avantageux de le vendre à la ville prochaine, le charroi se fera avec beaucoup moines d’hommes que quand l’individu est obligé de faire le voyage pour sa petite quote-part. Le marchand, qui trompe le paysan horriblement à l’achat en détail, n’aura plus cet avantage au moins pour la capitation, et le paysan apprendra par là à mieux vendre ses denrées. Une grande partie de la misère du paysan provient, au moins dans les provinces baltiques, des tromperies et des vexations du petit marchand, qui vont à un point incroyable.
4) La sévérité proposée dans la perception est un bien pour le sujet. Point d’arrérages! L’État ne doit jamais endetter le paysan. Dans les cas d’insolvabilité absolue bien constatée d’une commune l’État gagne à renoncer à la capitation de cette commune en entier ou en partie. Les Régences des provinces peuvent être autorisées à cet égard.
5) Enfin le taux proposé fournira à la Couronne un revenu beaucoup plus considérable que ne le fixe le Manifeste du 2 Février, sans injustice et sans oppression2.
IIo) Impôt sur les capitalistes. L’impôt du timbre pour les obligations retombe toujours sur l’emprunteur. Le prêteur jouit de ses revenus sans impôt. C’est une injustice envers les classes laborieuses.
Le possesseur d’une obligation enregistrée paiera annuellement ½ p. C. du capital à l’État.
Cette source de revenus est d’autant plus juste que les rentes légitimes ont été récemment augmentées de 1 p.Cent, au grand détriment des propriétaires de terres endettés, et sans diminuer l’usure qui fleurit à présent mieux que jamais. Les honnêtes capitalistes ont été étonnés des 6 p. C. et les usuriers ont haussé leur usure de 2 p. C. Ils ont le front de prouver que quand l’État accorde 1 p. C. de plus ils agissent honnêtement en ne prenant que le double en sus de ce qu’ils prenaient auparavant. La source du mal gît à une plus grande profondeur.
IIIo) Le luxe ne porte point d’impôts en Russie, excepté pour les droits d’entrée des marchandises étrangères. Le luxe intérieur n’en porte aucun. Les objets de luxe qu’on doit principalement taxer sont:
Les domestiques
Les équipages
La vaisselle d’argent et d’or
Les voyages à l’étranger
1er) Les domestiques.
a) Un homme non marié peut avoir un domestique sans impôt; une famille trois.
b) Pour le premier domestique en sus le maître paiera 5 Rbl., pour le second 10 Rbl.; pour le troisième 15 Rbl. et ainsi de suite en progression arithmétique.
c) Sous le nom de domestiques sont compris tous les serviteurs, mâles et femelles, qui ne servent pas à l’économie rurale ou aux métiers, mais au luxe ou à la commodité de ceux qui les ont. Les gouverneurs, gouvernantes et nourrices ne sont pas des domestiques.
d) Cet impôt s’étend aux domestiques de la campagne comme de la ville.
e) La police fournira au gouvernement la liste des domestiques soumis à l’impôt.
Cette mesure aura l’avantage ou de fournir à la Couronne un revenu très considérable (pour cinquante domestiques en sus on paiera 6375 Rbl., pour cent 25 250 R.) ou de rendre à la classe productive des millions d’individus qui au moins figureront fort bien sous le mousquet.
2e) Les équipages
e classe a le droit de tenir deux chevaux sans impôt>
a) Pour deux chevaux d’équipage on paie 10 Roubles, pour le troisième et le quatrième 20 Roubles, pour le cinquième et sixième 40 Rbl., pour le septième et huitième 80 Roubles, pour le neuvième et dixième 160 Rbl. et ainsi de suite en progression géométrique.
b) Un cheval de selle est compté pour une paire de chevaux d’équipage et plusieurs chevaux de selle sont sujets à la même progression.
c) On comprend sous chevaux d’équipage les chevaux qui ne sont employés qu’au luxe ou à la commodité.
d) Les marchands et artisans, qui ont besoin de chevaux pour leur état et qui se servent de ces chevaux pour aller en voiture, droschka ou traîneau, sont sujets à la taxe. Les habitants de la campagne, tels que fermiers, pasteurs, médecins etc., ont deux chevaux d’équipage ou un de selle francs.
e) Les teneurs de chevaux dans les villes (Iswoschicks) paient annuellement 25 R. par cheval qu’ils tiennent dans la rue et 100 R. par cheval qu’ils louent par jour, semaine, mois ou année.
f) La police de chaque gouvernement fournira à la Régence la liste de tous les chevaux soumis à l’impôt.
Cette mesure fournira à la Couronne un revenu assez considérable (pour 12 chevaux d’équipage l’impôt se montera à 320 Rbl.; pour 24 à 20480 Rbl.) ou fera baisser le prix des chevaux et des fourrages dont la Couronne consomme une si grande quantité pour les armées.
3e) La vaisselle d’argent et d’or.
a) Pour 10ts de vaisselle d’argent on ne paiera point d’impôts. Pour les premières 10ts en sus on paiera annuellement 1 pour Cent de la valeur intrinsèque, pour les 10ts suivantes 2 p. C., pour les 10ts suivantes 3 pour Cent etc. en progression arithmétique.
b) Toute vaisselle d’or paie 5 pour Cent de la valeur intrinsèque.
c) La vaisselle d’argent dorée paie le double de la vaisselle d’argent.
d) Sous le nom de vaisselle d’argent ou d’or sont compris non seulement tous ustensiles de ces métaux qui servent à table, mais aussi les chandeliers, candélabres, lustres, vases, statues etc., en général tous les ustensiles servant d’ornement ou conservés par d’autres raisons.
Cet impôt ne sera pas de grand rapport à raison de la difficulté de fixer la quantité de cette vaisselle chez chaque particulier. Mais il gênera les particuliers qui en ont de trop et fera rentrer ces métaux en grande partie dans la circulation.
4e) Les voyages à l’étranger.
a) Quiconque voyage à l’étranger pour raison de santé ou de commodité paie à l’État annuellement pendant le temps de son voyage 10 p. C. de ses revenus en monnaie d’argent.
b) Les voyages d’instruction ne sont supposés tout au plus jusqu’à l’âge de 30 ans et n’ont pas lieu pour le sexe. Toute famille qui va à l’étranger faire l’éducation de ses enfants paie l’impôt.
c) Les voyages pour affaires doivent être documentés à la Régence du gouvernement et fixés par celle-ci à un terme proportionné. Cette Régence expédie, sans autre formalité, tous les passeports et en fait rapport au Ministre de l’intérieur.
d) Tous les voyages officiels sont exempts d’impôt.
La perte que fait l’État par les voyages des riches est très grande, surtout parce que les dépenses de ces voyages se font en monnaies de métal, qu’elles soient assignées de quelle manière on veut; c’est toujours un tribut payé à l’étranger. Il est donc juste que le riche qui peut se permettre ce luxe indemnise l’état par une contribution. Le prétexte de santé, des bains etc. n’est qu’un prétexte; et si sur dix cas il y en a un de besoin réel, le riche peut payer 1/10 de plus pour retrouver sa santé en Suisse ou en Italie. Par contre le Gouvernement doit faciliter autant que possible les voyages utiles, surtout ceux pour affaires, et on ne peut trop répéter que les entraves qu’on y a mises (peut-être par raison de vigilance) ne font que gêner sans donner plus de sûreté. Dans les cas de doutes la Régence du gouvernement où le voyageur est domicilié fait rapport avant d’expédier le passeport.
Pour chaque contravention on paiera une amende décuple de l’impôt.
La mesure principale que le Gouvernement a prise pour hausser le cours des assignations est l’emprunt décrété par le Manifeste du 3 Juin 1810, combiné avec la vente des domaines3. Le premier est nuisible au crédit des assignations, à la Couronne en particulier et spécialement à la vente des domaines.
Il est nuisible au crédit en ce que par cet emprunt on a trop démasqué l’embarras, où la Couronne se trouve, qu’on a calculé sur les avantages inouïs qu’Elle offre. En outre, tous les capitalistes savent que les 100 millions que la Couronne en attend ne suffiront pas à beaucoup près pour ramener le nombre des assignations à une proportion supportable, et la Couronne elle-même l’annonce dans son Manifeste puisqu’Elle s’engage dans 7 ans à rembourser en argent sur le taux de 2 Rbl. papier. Cet énorme engagement, sans exemple dans l’histoire des finances, a pu amener quelques millions à la caisse impériale, parce que quelques particuliers ont fait le calcul suivant: le Rouble argent valent à présent 3.30 cop. en assignations, 1000 Rbl. argent échangés contre du papier valent 3300 R.; ces 3300 Rbl. donnés à la Couronne seront remboursés après 7 ans en argent sur le taux de 2 Rbl. de papier; ainsi le propriétaire de l’obligation de 1000 Rbl. reçoit 1650 Rbl. en argent, par conséquent 65 p. C. en sus de son capital. Les rentes étant de même payées en argent se perçoivent avec le même avantage, et se montent par là à 9 9/10 p. C. Malgré cet énorme profit, la plupart des capitalistes, qui ont des Roubles d’argent, doutant et de la possibilité du remboursement et de la vente des domaines, ne s’engagent pas dans l’emprunt. Les autres qui n’ont que du papier ont moins d’attraits pour s’y engager et les mêmes doutes. Ainsi l’emprunt ne se remplira pas. En général il est de la nature d’une obligation quelconque qu’elle ait une hypothèque spéciale. Ce n’est qu’en Angleterre où le crédit national soutient journellement le crédit de la Couronne que des obligations sans hypothèque puissent avoir lieu; en Russie, où il s’agit d’étayer le crédit de la Couronne sans crédit national, cela est impossible.
L’emprunt est nuisible à la Couronne, en soi, autant qu’il est utile au prêteur pour le capital et les intérêts, et en outre par l’engagement de payer rentes et capital en argent qui manquera sûrement.
L’emprunt est nuisible à la vente des domaines parce que la Couronne, prenant les engagements énormes ci-dessus, sera forcée de vendre avant les termes du remboursement. C’est le moment qu’attendent les capitalistes pour forcer la vente au prix qu’ils voudront y mettre. Pour cette conjuration il n’est pas besoin de s’aboucher ou de faire des plans. Cela s’entend de soi-même, comme les accapareurs s’entendent lorsqu’une denrée nécessaire vient à manquer. Dès que l’État fait des emprunts les capitalistes deviennent ses ennemis naturels. La baisse des assignations le prouve clairement; car ce n’est pas le défaut de commerce seul qui la cause; l’agiotage y a sa bonne part.
Io) L’emprunt doit cesser puisque la nation met peu de zèle à le réaliser. Pour ce qui a été livré il faut tenir parole ou laisser au prêteur le choix de retirer son capital.
IIo) La vente des domaines pure et simple, libre de toute autre spéculation, est un moyen sûr de hausser le cours des assignats. Mais il faut la faire de la manière suivante:
1) Point de terme limité pour cette vente, point de restriction locale, aucune espèce de gêne. La Couronne vend de ses domaines partout où il se trouvera des acheteurs.
2) Non seulement les classes nommées au § 6 du manifeste, mais aussi le paysan, soit individuellement, soit en commune, a le droit d’acheter une portion quelconque des domaines et obtient les droits énoncés à l’article 3 du § 7 du manifeste.
3) Le prix sera payé moitié en argent (monnayé ou non monnayé), moitié en assignations, en sorte que les assignations comptent comme étant au pair de l’argent. Une terre par ex. évaluée à 100 000 Rbl. en argent sera payée de 50 000 R. en argent et de 50 000 Rbl. en papier.
4) Les ventes se feront publiquement au plus offrant dans chaque ville de gouvernement pour chaque gouvernement, et le Ministère décidera sans délai, jour pour jour, si le prix est suffisant pour confirmer la vente. Le gouvernement n’offrira pas spécialement telle ou telle terre, mais attendra les offres des acheteurs pour chacune.
5) Les paiements se feront à termes de 6 mois par cinquièmes du prix. Le 1er cinquième se paiera en argent et en papier au moment de la confirmation de la vente; le second 6 mois après et ainsi de suite, en sorte qu’au bout de 2 ans à compter de la date de la confirmation de la vente le prix total soit payé. Quiconque ne tient pas ses termes paie 10 p. C. du prix et peut se retirer. Quiconque veut payer avant les termes peut le faire et on lui décompte 6 p. C. de ses avances par année.
6) La Régence de chaque gouvernement publiera de 3 mois en 3 mois de nouvelles ventes, jusqu’à ce que les sommes stipulées par les achats soient suffisantes pour le but proposé.
7) Le but de la vente d’une partie des domaines est d’anéantir une partie des assignations.
La vente des domaines doit être facilitée autant que possible; ainsi il faut éviter toute entrave ou retard. Le Ministère des finances sait la valeur de chaque terre. Ainsi il saura à point nommé si la vente doit être ratifiée. Le paysan doit pouvoir acheter a) pour augmenter la concurrence, b) parce qu’il y a beaucoup de paysans riches, surtout parmi ceux qui font le commerce, c) parce que beaucoup de paysans dans les provinces moins cultivées et dans les provinces nouvellement acquises ont de l’argent enfoui; cet argent reparaîtra pour cet achat et entrera par le canal de la Couronne en circulation. L’article 3 du § 7 obvie aux inconvénients qu’on pourrait craindre de l’admission des paysans à l’achat des domaines4.
L’article 3 proposé paraît apporter un dommage à la Couronne, en ce que par là les terres évaluées à 100 000 Rbl. en argent ne sont payées réellement qu’à 65 151 Rbl. en supposant le cours pendant la vente à 3.30 cop. Mais d’un côté il faut un appas considérable pour les acheteurs et d’un autre côté cette perte se diminue considérablement par la hausse des assignations dont le profit s’étend sur tous les revenus de la Couronne. Par contre cette manière de vendre a le double avantage de fournir à la Couronne du métal pour la circulation qu’on aura soin de monnayer promptement, et du papier à brûler. Et on ne peut assez répéter que ce n’est pas le nombre considérable des assignations qui, en soi, fait baisser leur valeur, mais le manque de métaux en circulation. Dès que la Couronne aura émis quelques millions en argent et brûlé pour autant d’assignations le cours montera considérablement.
IIIo) Le mode d’anéantissement des assignations doit être choisi avec précaution et publié. La nation et toute l’Europe doivent avoir la certitude plénière que ce sont réellement des assignations qu’on brûle, et cette certitude exige la probité du Monarque même pour garant.
1) Le Monarque lui-même, entouré de ses ministres, brûle de sa propre main, publiquement, sur le balcon du palais, en présence du peuple de Pétersbourg qu’on invite à se rendre sur la place
2) Les prochaines gazettes de Pétersbourg et de tout l’Empire nomment à la nation tous les numéros qui ont été brûlés et la somme à laquelle ils se montent.
Il est avantageux de ne commencer cette opération que lorsque la Couronne sera en état de la faire sur quelques millions. Chacune de ces opérations se fera sur 500 000 Rbl. et se renouvellera à peu près toutes les semaines, sans fixer au reste un certain jour pour ne pas accoutumer le public à cette opération. Il sera même utile de laisser quelquefois passer une semaine et ensuite de faire cette opération deux fois dans la semaine prochaine. Ces petits détails ne sont pas minutieux; ils établissent la confiance du peuple qui est ici de grande importance.
IVo) Le titre de la monnaie de cuivre doit être doublé. Pour cet effet les pièces de 5 copecs vaudront 10 copecs, celles de 2 copecs en vaudront 5; celles de 1 copec en vaudront 2 et celles de ½ copec en vaudront 1. Cette opération se fera le plus tôt possible par un simple Ukase dont l’exécution aura lieu du moment de sa publication, qui contiendra en termes clairs et précis la raison de ce changement, et qui annoncera la prochaine mise hors de cours de cette monnaie par l’introduction une nouvelle. La Couronne fera sur le champ battre une nouvelle monnaie de cuivre pur dont la valeur intrinsèque sera de 10 p. C. au-dessous de la valeur du cuivre dans le commerce, et continuera sans relâche à fournir cette nouvelle monnaie qui deviendra la véritable et la seule. Les raisons de cette opération pour le public sont bien simples et à portée du paysan le plus ignare, qui sentira de lui-même que, le prix du cuivre étant plus que doublé, quand il paie au marchand 1 Rouble en cuivre il lui paie plus que 2 Rouble en papier, mais que par contre lorsque le marchand lui paie ses denrées en papier il ne reçoit que la moitié de ce qu’il devrait recevoir. On lui rappellera que quand il achète des marchandises de cuivre et qu’il paie en monnaie de cuivre, il donne au marchand ou chaudronnier plus du double du métal qu’il en reçoit; on lui dira que c’est cette disproportion qui fait disparaître le cuivre monnayé, parce que les chaudronniers le fondent et les contrebandiers l’exportent à l’étranger. Enfin on lui fera remarquer que la Couronne n’a pas le gain de cette opération, mais le peuple entre les mains duquel se trouve la monnaie de cuivre.
Les raisons pour l’État sont a) le manque total de cuivre que les agioteurs accaparent pour faire un profit de 10 à 15 p. C. plusieurs fois dans une année, souvent dans un mois. En doublant la valeur numéraire non seulement tout le cuivre accaparé reparaîtra mais aussi la somme de la monnaie circulante sera réellement doublée et l’embarras cessera. b) Les assignations monteront réellement de 10 ou 15 p. C. puisqu’elles ne seront plus soumises à cet énorme agio. Elles monteront même davantage, car cet agio est une source de crainte et de dégoût qui influe indubitablement sur le cours. c) La Couronne n’aura besoin à la suite que de la moitié de la masse de cuivre pour la circulation et l’autre moitié restera pour le commerce. La Couronne, il est vrai, pourrait faire un profit immédiat très considérable en refondant les monnaies de cuivre; mais il faudrait pour cela du temps et des déboursés pour l’établissement de nouveaux ateliers; et la crise actuelle exige des mesures promptes et non sujettes à des dépenses.
Vo) L’introduction de la petite monnaie d’argent est impossible dans le moment actuel, quelque peu de valeur intrinsèque qu’on veuille lui donner. La Couronne a trop peu d’ateliers et trop peu d’argent pour faire à présent cette opération qui du reste n’aurait d’autre utilité qu’un peu plus de commodité pour le public, et qui appauvrirait la Couronne de tout le cuivre monnayé qui, au lieu de lui revenir, passerait dans les fonderies et à l’étranger. Cette perte serait bien plus considérable que le gain qu’on ferait sur l’alliage de la monnaie d’argent à moins qu’on ne voulût la frapper à un titre qui détruirait toute confiance.
VIo) Le Gouvernement a vacillé sur la question si les monnaies étrangères, nommément les Écus d’Albert, doivent être mis hors de cours. A-t-on donc cru que quand Riga n’aura plus d’écus en circulation, Riga ne recevrait plus d’écus de l’étranger? Tant que sa balance de commerce sera positive les écus viendront irrévocablement. La mise hors de cours n’aura que trois suites. La première est que les Écus d’Albert passeront à la monnaie russe. La seconde que l’étranger n’aura plus le profit considérable qu’il fait sur la petite monnaie (Fünfer) qui n’a presque pas de valeur intrinsèque. La troisième est que l’agiotage pernicieux qui se fait à Riga sur les Écus d’Albert cessera. Ce n’est pas se hasarder en prétendant que cet agiotage fait baisser les assignations de 50 p. C. Toutes monnaies étrangères doivent être mises hors de cours. Le gouvernement anglais, qui ne fait point de profit sur sa monnaie, ne souffre point de monnaies étrangères dans le cours et permet par contre à ses particuliers de frapper toutes les monnaies étrangères pour l’étranger.
VIIo) Le gouvernement a permis au commerce de payer ses impôts de douanes en assignations et a fixé par le § 11 du Manifeste du 2 Février 1810 que l’écu serait compté pour 4 Roubles en papier. Cette mesure qui n’était motivée par aucune raison a fait une révolution dans le cours, en ce que le public a regardé dès ce moment cette proportion fixée par le Gouvernement même comme un maximum de la valeur des assignations5. La vraie mesure à prendre (la précédente VI étant prise) est de lever les impôts de douane en papier sur le taux du plus bas cours du tertial, les payeurs ne réaliseront leur paiement qu’à la fin de chaque tertial.
C’est un moyen sûr d’intéresser le marchand à hausser le cours des assignations, les droits de douane étant très considérables. Le banquier qui fait des profits énormes sur le change se trouvera par là aux prises avec le vrai marchand qui agiotera contre lui, pour son propre profit et par là à l’avantage de la Couronne.
VIIIo) Enfin il est du devoir de tout bon sujet russe de fixer l’attention du Gouvernement sur la ruine des propriétaires de terres, qui avance en progression très rapide sous les circonstances actuelles. La majorité est endettée, et a fait ses obligations en monnaie d’argent. Les productions se paient en gros en assignations, en détail en cuivre qui n’a que la valeur des assignations à 10 ou 15 p. C. près. Les revenus comparés aux intérêts à payer sont par conséquent réduits au tiers de ce qu’ils valaient il y a 4 ou 5 ans. Le propriétaire doit donc succomber sous la verge du capitaliste. Les fermiers se trouvent dans le même cas vis-à-vis des propriétaires qui à cet égard jouent le rôle de capitalistes. L’équité exige que le Gouvernement mette un frein à cette oppression en ordonnant
1) Que les rentes de tous les capitaux en monnaies d’argent
2) Que le remboursement des capitaux se fasse sur le même pied, avec cette restriction que le prêteur ne soit pas obligé d’accepter le remboursement, mais qu’il puisse forcer le débiteur à garder le capital sous les mêmes conditions jusqu’à l’époque où le cours sera remonté au taux de 2 Roubles en assignations pour 1 Rouble d’argent.
Cette mesure, dictée par la nécessité et l’équité, devient une mesure de justice. On a vu les plus grandes places de commerce prendre des mesures de ce genre, suspendre même tout paiement dans des crises semblables.
L’auteur de ce mémoire n’a rien à ajouter sinon qu’il n’est ni banquier ni marchand, ni propriétaire ni fermier, ni créancier ni débiteur, et que par conséquent il n’a nul intérêt personnel aux mesures qu’il propose. Il n’a d’intérêt que pour l’État.