Dorpat], 6 août 1811
J’attendais avec impatience une nouvelle touchant la pension de la pauvre veuve Roth. Elle est arrivée cette nouvelle, mais désolante, affreuse! La pension est supprimée; le nom de la veuve Roth n’est plus sur la liste des pensionnés dont le Kameralhof de Riga est chargé. – Je n’ai pas cru un instant que cette suppression vient de Vous; elle a été sûrement faite à Votre insu. Car au moment où l’on Vous l’aurait proposée Vous Vous seriez ressouvenu du motif important qui Vous engagea autrefois à assurer cette pension pour toute la vie de la veuve. En outre Vous n’auriez pas oublié que du moment que la pension cesse la charge de l’entretien de cette famille retombe sur moi, dans ce période désastreux où il est si difficile de fournir à l’entretien de sa propre famille. J’ose croire à ce second motif, ne me sentant coupable de rien qui dût me faire perdre la moindre partie de Votre attachement. J’y crois fermement malgré Votre silence absolu sur tant de travaux que je Vous ai envoyés depuis le mois d’octobre dernier; j’y crois parce que mon cœur me dit d’y croire, de compter sur le Vôtre.
Je suis affligé, par bien des raisons. Supprimez celle qui dépend de Vous. Rendez à la pauvre Roth sa pension et ajoutez ce dont je Vous ai prié plusieurs fois, que cette pension est destinée uniquement à son entretien et à l’éducation de sa famille et non pas à payer les dettes de son mari; je Vous ai prouvé en octobre la justice de cette déclaration.
Recevrai-je cette fois-ci quelques mots de Votre main? J’en ai un besoin pressant. Consolez
Votre Parrot.
168. G. F. Parrot à Alexandre IER
Dorpat, 27 août 1811
Pardonnez-moi, mon Bien-Aimé, de Vous avoir donné dans ma dernière lettre une fausse nouvelle touchant la pension de ma belle-sœur Roth. J’avais été induit à erreur par la nouvelle que son nom n’était plus sur la liste envoyée à la Chambre des comptes de Riga. Je viens d’apprendre que cela a eu lieu parce que ce nom a été transposé sur la liste envoyée à la Chambre des comptes de Dorpat. Pardonnez-moi ma sollicitude; Vous avez vu par ma lettre combien elle était grande.
Le Comte Rasumofsky attaque un de nos Statuts. Le § 219 porte que les ouvrages des professeurs sont exempts de censure, même de celle de l’Université, et cela parce que les professeurs sont eux-mêmes censeurs dans leur partie, et qu’ils sont personnellement responsables. Cette mesure est non seulement conséquente, mais elle est encore motivée par le but d’éviter les dissensions qui peuvent avoir lieu lorsqu’un professeur devient le censeur de son collègue.
Pour nous ôter ce privilège le Comte Rasumofsky se fonde uniquement sur l’Ukase du 31 Janvier 1809. Mais cet Ukase porte, mot-à-mot, «que tout ouvrage qu’un membre d’une autorité quelconque veut faire imprimer et pour lequel les supérieurs font une représentation ne peut être imprimé sans l’approbation de la censure du district de l’Université». Cet Ukase avait été motivé par l’ouvrage de Saalfeld concernant les églises protestantes, qui avait causé tant de réclamations et qui avait été imprimé après que le Ministre de la justice Vous l’avait présenté1. Les ouvrages des professeurs ne sont pas de la classe de ceux qui ont besoin d’une représentation faite par les supérieurs. Le sens littéral et moral de l’Ukase prouve que Vous aviez uniquement les ouvrages des corps administratifs ou de leurs membres en vue, non les ouvrages littéraires et que par conséquent Votre intention n’était pas d’anéantir un § de nos Statuts. En outre depuis près de deux ans que cet Ukase existe ni le curateur ni le ministre précedant ne l’ont expliqué de cette manière; car ils nous l’ont envoyé sans nous prescrire de le suivre pour nos propres ouvrages, et plusieurs professeurs, du nombre desquels je suis moi-même, ont fait imprimer leurs livres sans censure et en ont envoyé des exemplaires à tout le ministère de l’instruction publique sans qu’on ait fait la moindre remarque à cet égard.
L’Université fera une représentation au Ministre et demandera qu’elle soit présentée à Votre décision. Elle doit cette mesure au maintien des lois que Vous nous avez données.
Vous sentirez sûrement le désagrément profond que nous cause la nécessité de faire si souvent des réclamations et que si nous nous sommes oubliés une fois dans le choix des expressions cette faute était bien naturelle, les attaques si souvent réitérés de la constitution que Vous nous avez donnée devant à la fin nous aigrir. Ne soyez pas fâché plus longtemps contre nous. Nous ne demandons que le repos, la tranquillité nécessaire pour faire notre devoir et cultiver les sciences. Pourquoi nous force-t-on de sortir de notre carrière et perdre notre temps à des choses si inutiles? – Vous savez combien j’aime ma vocation; mais ces tracassairies me découragent beaucoup.
Adieu, mon Alexandre chéri! Débarrassez-nous de ces entraves, je Vous en supplie.
Votre Parrot
169. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Dorpat], 24 septembre 1811
Enfin le second volume de mon ouvrage a quitté la presse et je puis l’offrir à mon Bien-Aimé1. Ce second volume part par le même courrier pour le Comte Rasumofsky que je prie officiellement de Vous le présenter. Le tome ci-joint est le premier pour remplacer celui que le Comte Sawadofsky ne Vous a pas présenté. Cette négligence est cause que cet exemplaire entier est sur du papier ordinaire, n’ayant fait faire qu’un exemplaire sur papier vélin pour Vous seul, et n’en ayant par conséquent plus pour remplacer le 1er tome perdu.
J’ai déjà fait quelques expériences très heureuses avec le télégraphe; je les réitère et les modifie pour connaître en pratique l’usage de cet instrument sous tous les points de vue. J’espère pouvoir Vous en donner le récit par le courrier prochain.
Adieu, mon Bien-Aimé! Je ne cesse de m’occuper de Vous et pour Vous.
Votre Parrot
Vous aurez sûrement déjà appris que les vitres du professeur baron Elssner ont été cassées. Les auteurs sont trouvés, trois gentilshommes courlandais. Aucun autre étudiant n’y a eu part, et nommément les livoniens, esthoniens et finlandais n’en ont rien su et en ont témoigné hautement et sincèrement leur indignation
170. G. F. Parrot à Alexandre IER
Dorpat, 1 octobre 1811
Les affaires de l’Université m’ont empêché de Vous envoyer le rapport de mes expériences télégraphiques mercredi dernier comme je l’avais désiré. Le voici avec le journal et trois chiffres et je puis Vous l’offrir avec bien de la satisfaction. Les expériences ont parfaitement réussi à une distance de 10 Werstes et il n’a tenu qu’un local que je n’aie pris la distance à 12 ou 15 Werstes, le résultat eût été le même. Vous verrez dans le rapport que j’ai choisi à dessein un local désavantageux, sur le fond duquel le télégraphe semblait ne devoir se dessiner qu’avec peine. En outre j’ai été tracassé par la fumée d’une cheminée à laquelle je n’avais pas d’abord songé et pour surcroît d’inconvénients un orage violent avec une forte pluie m’a surpris à la première expérience; enfin pendant les 7 expériences que j’ai faites je n’ai pas eu un moment de vrai beau temps; le soleil n’a pas lui un instant. Malgré tous ces désavantages toutes les expériences ont complètement réussi, non seulement de jour et de nuit, et même au crépuscule, temps le plus défavorable parce que le jour semble devoir être trop faible pour montrer le télégraphe, et trop fort pour laisser paraître les trois lumières. Cependant elles ont paru comme je l’avais espéré non seulement de nuit où elles brillaient comme des étoiles de la 10