Кафедра и трон. Переписка императора Александра I и профессора Г. Ф. Паррота — страница 86 из 183

Mon devoir me force à Vous dire encore un mot sur Beck3. La voix publique de Pétersbourg et de cette province le déclare innocent. Je Vous ai dit d’après la connaissance assez exacte que j’ai de lui que je le crois absolument incapable d’une trahison. Mais on est acharné depuis longtemps contre lui parce qu’il met trop peu de retenue dans ses jugements sur certaines personnes, et parce qu’il Vous a fait tenir directement des papiers qui auraient dû auparavant passer par d’autres mains et ne pas Vous parvenir4.

Vous m’avez dit que depuis longtemps on Vous a fourni des preuves contre lui, et cela précisément me ferait douter, si je n’en avais pas tant d’autres raisons. Je sais pour sûr qu’il n’a rien amassé; au contraire le peu de fortune qu’il a eu de sa femme n’existe plus, quoique je sache par moi-même qu’il vit très médiocrement. Le jeune Comte Sivers a été désigné à la place de Beck d’abord après son arrestation, ainsi avant la conviction; preuve qu’on voulait se défaire à cette occasion de Beck, de cet homme incommode qui travaille, il est vrai, jour et nuit, mais qui parle mal de ceux qui dirigent les affaires de ce département. Je le blâme d’avoir parlé; mais avouez que ces affaires ont été menées aussi mal que possible. – Si cette lettre parvenait en d’autres mains, je m’attendrais au sort de Beck et l’on ne manquerait pas de prouver que mes visites chez le ministre de Bavière sont autant de trahisons. Mais je Vous aime et Vous dois la vérité. —

Adieu, mon Bien-Aimé! Je Vous répète mon ancien refrain: si les revers viennent, rapprochez Votre Parrot de Vous. —

195. G. F. Parrot à Alexandre IER

[Dorpat], 26 mai 1812


Je ne Vous parlerai aujourd’hui que d’une chose, mon Bien-Aimé! Je plaiderai la cause de l’innocence déjà reconnue et cependant encore opprimée. Je suis instruit et puis à présent Vous parler avec connaissance de cause. Beck est absolument innocent; je n’en ai jamais douté et à présent je n’ai plus besoin de Vous en fournir les preuves. Il est disculpé de toute liaison avec Spéransky; le chiffre qu’on a trouvé chez celui-ci y est parvenu par Gervais, de l’aveu de Gervais même1. De quoi l’occupe-t-on encore et sous quel prétexte doit-il être détenu jusqu’à ce que les frontières soient libres d’ennemis? On lui impute quelques propos indiscrets. Mais la moitié de Pétersbourg devrait gémir dans les cachots si on punissait les propos indiscrets qui se tiennent depuis 3 ans, et que l’administration de Spéransky et de Rumänzoff avait provoqués2. Que ne pouvez-Vous comme moi entendre la voix publique! Ce n’est point là la cause du malheur, ce n’est pas là le crime du pauvre Beck . Tout ce qu’il a souffert, tout ce qu’il souffre à présent et tout ce qu’il souffrira à la suite, il le souffre pour Vous, uniquement parce qu’il Vous a instruit de choses que son chef Vous eût cachées. La catastrophe de Spéransky n’a été qu’une occasion venue à propos pour assouvir la haine implacable. À tout événement on Vous avait déjà indisposé auparavant contre Beck en le rendant suspect, en Vous le désignant comme un intrigant, et il ne restait plus qu’à y ajouter l’épithète de traitre. J’envisage la chose de tous les côtés, je compare tout ce que Vous m’avez dit Vous-même sur Beck et je ne vois plus qu’une prévention qui puisse ralentir le désir que Votre cœur a sûrement de lui rendre sa liberté et son honneur. O mon Alexandre! Je conçois que Vous hésitiez. Cela est fondé dans la nature de l’homme. Une persécution excitée de longue main ne se déracine pas facilement, surtout à Votre place où le sort d’être trompé est si souvent à l’ordre du jour. Mais Votre bonté naturelle triomphera de la prévention. C’est le cas de lui donner son essor; plus elle se manifestera, plus elle sera juste. Mettez-Vous un instant à la place du malheureux qui a toujours rempli ses devoirs avec une activité presque sans exemple (je ne connais pas de travailleur comme Beck), avec un zèle qui ne s’est jamais démenti et qui l’a poussé à faire pour Vous servir une chose que l’homme ordinaire appelle une sottise, l’homme en place – un crime ministériel, l’honnête homme de toutes les conditions – un devoir moral. Quel sentiment amer ne doit pas s’emparer de son cœur au moment où on le traite en criminel, le jette dans un cachot, l’accuse de trahison. Quelle différence de sort entre lui innocent et Spéransky coupable! Vous lui devez un dédommagement, à lui et à sa famille désolée. Vous le devez à Votre propre cœur. Même l’intérêt de l’État Vous le conseille. La perte de Beck dans ce département serait irréparable. Le jeune Comte Sivers peut avoir sa place, mais non le remplacer. Beck tient depuis tant d’années le fil des affaires, connait toutes les cours de l’Europe et les ressorts qui les font agir et joint à cette longue expérience des connaissances scientifiques rares dans les affaires.

La cause de Beck est à tous égards une cause morale. Je l’ai plaidée avec une entière conviction et j’attends tout de mon Bien-Aimé. La malheureuse famille Vous bénira.

* * *

Je Vous félicite d’avoir éconduit si énergiquement le Général Narbonne et sur la paix avec la Turquie3. Mais pourquoi la liberté du commerce n’est-elle pas déclarée, générale, avec toutes les nations? Le peu de fabriques qui s’évanouissent ne peut pas Vous arrêter. Je Vous ai déjà prouvé que la Russie n’est pas encore mûre pour les fabriques. C’est encore une faute du Chancelier d’avoir traité avec l’Angleterre4. On devait savoir que, dès qu’on traiterait, la nation de marchands réclamerait ses anciens avantages. Il fallait ne point négocier ; le peuple de Londres et de Birmingham eût bientôt sans nous forcé le ministère à permettre le commerce russe. À présent le Ministère anglais est en avantage et se donne les airs de ne pas se soucier de la Russie, d’autant plus aisément que le temps des commissions est presque passé.

Adieu, mon Bien-Aimé! J’espère apprendre bientôt l’ouverture de la campagne, et le Ciel sera pour Vous.

Votre Parrot


Je vous remercie d’avoir repris Benningsen. À ce trait j’ai reconnu Votre cœur.

196. G. F. Parrot à Alexandre IER

Dorpat, 25 juin 1814


J’anticipe de quelques semaines le moment de Votre retour dans la Patrie1 pour Vous revoir, au moins en idée.

Ce premier moment ne peut pas être à moi. Vous le devez à Votre recueillement, à l’amour de Votre famille, aux transports de Votre peuple. Ces lignes ne Vous seront transmises que 3 jours après Votre arrivée.

J’ai donc eu raison de Vous aimer comme je Vous aime, avec cette force de sentiment qui quelquefois Vous paraissait incompréhensible. – J’ai eu raison de Vous appeler mon héros. L’Europe me justifie. – Sentez mon bonheur. Partagez-le, et puisse cette idée ajouter quelque chose à la masse de félicité dont Vous jouissez! J’ose l’espérer, parce que je suis incorruptible, même à Votre égard.

Jetez un coup d’œil sur nos relations depuis leur commencement jusqu’à présent. Vous trouverez que j’ai toujours été invariable. Vous l’avez été de même, quoique Vous ayez cru quelquefois ne pas l’être, et voilà ce qui m’encourage à Vous retracer le tableau de mon sentiment. La prospérité ne peut pas Vous avoir changé, elle n’a d’accès à Votre âme que pour l’élever. Oui, je retrouverai mon Alexandre tel qu’il était lorsque je le vis la dernière fois, lorsqu’il se préparait à cette guerre terrible qui devait décider de son existence et de celle de son peuple.

Vos succès m’ont déchargé du soin que Vous m’aviez confié de Vous faire connaître à la postérité, de dévoiler à ses yeux un caractère unique dans l’histoire2. Mais mon cœur ne m’en a pas déchargé et le tableau que je lui présenterai se fera jour à travers ceux des historiens qui ne connaissent en Vous que l’homme de l’Europe. Ceux-là Vous feront admirer; le mien Vous soumettra toutes les âmes sensibles.

Vous n’avez pas voulu que je combatte à Vos côtés. Je rougis, je l’avoue, du motif de cette injustice; Vous vouliez me conserver vivant, comme si la vie était quelque chose sans activité. J’ai beaucoup souffert pendant ces deux années, parce que ce sentiment me rabaissait à mes propres yeux. Je Vous envoie quelques mots que j’ai prononcés publiquement et fait imprimer; je Vous les envoie pour Vous prouver qu’une injustice de Votre part ne diminuera pas mon sentiment3. Je n’ai pu, il est vrai, l’exprimer comme il est, ce sentiment; la postérité seule le connaîtra; et voilà pourquoi mon style est si au-dessous de ce qu’il pourrait être. Je suis gêné quand je parle de Vous, parce que je dois me contraindre.

J’éprouve cette contrainte même dans ce moment où je ne parle qu’à Vous, j’abhorre l’idée de fasciner Votre vue après une si longue absence. Je viendrai à Pétersbourg lorsque je croirai que Vous pouvez me voir. Alors mon cœur se réglera sur le Vôtre comme il a toujours fait. Votre expression fixera la mienne. Vous ne verrez de mon âme que ce que Vous voudrez en voir.

Quand je serai à Pétersbourg, je serai forcé de Vous parler d’affaires. Il s’est passé bien des choses en Votre absence4. En attendant je Vous supplie de ne rien décider dans le département de l’instruction publique avant que j’aie pu Vous informer de ce que j’ai vu.

Vous êtes le plus fortuné des souverains. Vous en êtes vis-à-vis de Votre nation et de l’Europe au point où se trouvait Bonaparte lorsqu’il devint Empereur, maître de l’opinion publique et des plus grands moyens. Vous les employerez tous au bonheur de l’humanité. Je n’ai plus de vœux à adresser à la Providence; je n’ai que des actions de grâces à lui rendre. Elle a réalisé toutes mes espérances. – O mon Alexandre!