Mon devoir me force à Vous dire encore un mot sur Beck3. La voix publique de Pétersbourg et de cette province le déclare innocent. Je Vous ai dit d’après la connaissance assez exacte que j’ai de lui que je le crois absolument incapable d’une trahison. Mais on est acharné depuis longtemps contre lui parce qu’il met trop peu de retenue dans ses jugements sur certaines personnes, et parce qu’il Vous a fait tenir directement des papiers qui auraient dû auparavant passer par d’autres mains et ne pas Vous parvenir4.
Vous m’avez dit que depuis longtemps on Vous a fourni des preuves contre lui, et cela précisément me ferait douter, si je n’en avais pas tant d’autres raisons. Je sais pour sûr qu’il n’a rien amassé; au contraire le peu de fortune qu’il a eu de sa femme n’existe plus, quoique je sache par moi-même qu’il vit très médiocrement. Le jeune Comte Sivers a été désigné à la place de Beck d’abord après son arrestation, ainsi avant la conviction; preuve qu’on voulait se défaire à cette occasion de Beck, de cet homme incommode qui travaille, il est vrai, jour et nuit, mais qui parle mal de ceux qui dirigent les affaires de ce département. Je le blâme d’avoir parlé; mais avouez que ces affaires ont été menées aussi mal que possible. – Si cette lettre parvenait en d’autres mains, je m’attendrais au sort de Beck et l’on ne manquerait pas de prouver que mes visites chez le ministre de Bavière sont autant de trahisons. Mais je Vous aime et Vous dois la vérité. —
Adieu, mon Bien-Aimé! Je Vous répète mon ancien refrain: si les revers viennent, rapprochez Votre Parrot de Vous. —
195. G. F. Parrot à Alexandre IER
[Dorpat], 26 mai 1812
Je ne Vous parlerai aujourd’hui que d’une chose, mon Bien-Aimé! Je plaiderai la cause de l’innocence déjà reconnue et cependant encore opprimée. Je suis instruit et puis à présent Vous parler avec connaissance de cause. Beck est absolument innocent; je n’en ai jamais douté
La cause de Beck est à tous égards une cause morale. Je l’ai plaidée avec une entière conviction et j’attends tout de mon Bien-Aimé. La malheureuse famille Vous bénira.
Je Vous félicite d’avoir éconduit si énergiquement le Général Narbonne et sur la paix avec la Turquie3. Mais pourquoi la liberté du commerce n’est-elle pas déclarée, générale, avec toutes les nations? Le peu de fabriques qui s’évanouissent ne peut pas Vous arrêter. Je Vous ai déjà prouvé que la Russie n’est pas encore mûre pour les fabriques. C’est encore une faute du Chancelier d’avoir traité avec l’Angleterre4. On devait savoir que, dès qu’on traiterait, la nation de marchands réclamerait ses anciens avantages. Il fallait ne point négocier
Adieu, mon Bien-Aimé! J’espère apprendre bientôt l’ouverture de la campagne, et le Ciel sera pour Vous.
Votre Parrot
Je vous remercie d’avoir repris Benningsen. À ce trait j’ai reconnu Votre cœur.
196. G. F. Parrot à Alexandre IER
Dorpat, 25 juin 1814
J’anticipe de quelques semaines
Ce premier moment ne peut pas être à moi. Vous le devez à Votre recueillement, à l’amour de Votre famille, aux transports de Votre peuple. Ces lignes ne Vous seront transmises que 3 jours après Votre arrivée.
J’ai donc eu raison de Vous aimer comme je Vous aime, avec cette force de sentiment qui quelquefois Vous paraissait incompréhensible. – J’ai eu raison de Vous appeler mon héros. L’Europe me justifie. – Sentez mon bonheur. Partagez-le, et puisse cette idée ajouter quelque chose à la masse de félicité dont Vous jouissez! J’ose l’espérer, parce que je suis incorruptible, même à Votre égard.
Jetez un coup d’œil sur nos relations depuis leur commencement jusqu’à présent. Vous trouverez que j’ai toujours été invariable. Vous l’avez été de même, quoique Vous ayez cru quelquefois ne pas l’être, et voilà ce qui m’encourage à Vous retracer le tableau de mon sentiment. La prospérité ne peut pas Vous avoir changé, elle n’a d’accès à Votre âme que pour l’élever. Oui, je retrouverai mon Alexandre tel qu’il était lorsque je le vis
Vos succès m’ont déchargé du soin que Vous m’aviez confié de Vous faire connaître à la postérité, de dévoiler à ses yeux un caractère unique dans l’histoire2. Mais mon cœur ne m’en a pas déchargé et le tableau que je lui présenterai se fera jour à travers ceux des historiens qui ne connaissent en Vous que l’homme de l’Europe. Ceux-là Vous feront admirer; le mien Vous soumettra toutes les âmes sensibles.
Vous n’avez pas voulu que je combatte à Vos côtés. Je rougis, je l’avoue, du motif de cette injustice; Vous vouliez me conserver vivant, comme si la vie était quelque chose sans activité. J’ai beaucoup souffert pendant ces deux années, parce que ce sentiment me rabaissait à mes propres yeux. Je Vous envoie quelques mots que j’ai prononcés
J’éprouve cette contrainte même dans ce moment où je ne parle qu’à Vous, j’abhorre l’idée de fasciner Votre vue après une si longue absence. Je viendrai à Pétersbourg lorsque je croirai que Vous pouvez me voir. Alors mon cœur se réglera sur le Vôtre comme il a toujours fait. Votre expression fixera la mienne. Vous ne verrez de mon âme que ce que Vous voudrez en voir.
Quand je serai à Pétersbourg, je serai forcé de Vous parler d’affaires. Il s’est passé bien des choses en Votre absence4. En attendant je Vous supplie de ne rien décider dans le département de l’instruction publique avant que j’aie pu Vous informer de ce que j’ai vu.
Vous êtes le plus fortuné des souverains. Vous en êtes vis-à-vis de Votre nation et de l’Europe au point où se trouvait Bonaparte lorsqu’il devint Empereur, maître de l’opinion publique et des plus grands moyens. Vous les employerez tous au bonheur de l’humanité. Je n’ai plus de vœux à adresser à la Providence; je n’ai que des actions de grâces à lui rendre. Elle a réalisé toutes mes espérances. – O mon Alexandre!