1; mes fonctions, mes devoirs, mes travaux littéraires même, je rapportais tout à Vous. Je voulais être et paraître digne de la confiance que V. M. m’accordait contre l’ordre ordinaire des choses. Je Vous ai aimé, Vous le savez, avec une énergie qui quelquefois Vous a étonné. Je n’ai jamais pratiqué la maxime si usitée qu’il vaut mieux plaire au ministre qu’au Souverain. – Que dis-je? Je n’ai jamais voulu Vous plaire; je n’ai voulu que Vous aimer et Vous servir. Bien plus, Sire, Vous n’étiez pas ingrat de sentiment à mon égard, et si le mien a surpassé de beaucoup, peut-être, le Vôtre, je savais que ce surplus, dont Votre âme est si riche, était voué aux millions de Vos sujets dont Vous vouliez être le père, – et je m’en applaudissais. Mais c’est précisément ce sentiment de V. M. qui contraste avec la manière dont il Lui a plu de se séparer de moi.
Je l’ai déjà dit à V. M., je ne ferai point de secret de ce que les sots appellent une chute (on ne tombe pas quand on n’est pas monté dans leur sens). Je me dévouerai à leurs insultes, à leurs persécutions qu’ils me doivent amplement dans leurs principes (V. M. sait pourquoi) et qui ont déjà commencé.
Sire! Si jamais le hasard offrait à V. M. une seconde fois un être sensible qui, attiré par la noblesse de Votre âme, voulût se donner entièrement à Vous, au nom de la Divinité que Vous révérez comme moi, repoussez-le dès les premiers abords. Qu’une victime du sentiment Vous suffise!
Tels sont les derniers accords d’une voix qui pendant onze ans a retenti dans l’âme de V. M. J’aurais dû peut-être leur donner un autre ton et cacher mon chagrin. Mais je veux rester fidèle à moi-même; je n’apprendrai jamais à feindre.
J’ai l’honneur d’être avec la plus profonde soumission
De V. M. I
le très humble, très obéissant et très soumis serviteur
Parrot.
203. G. F. Parrot à Alexandre IER
Dorpat, 27 mars 1821
Sire!
Le plus ancien professeur de Dorpat ose s’approcher humblement du trône de Votre Majesté Impériale, un mémoire à la main. Les lois de l’Empire le permettent à tout sujet, et des circonstances extraordinaires exigent des mesures hors de la règle.
Je crois remplir en ce moment un devoir sacré en fixant l’attention de Votre Majesté Impériale sur un ver intestin qui ronge l’Université de Dorpat dont Vous êtes le Fondateur auguste et chéri. Si cependant ce mémoire avait le malheur de déplaire à Votre Majesté Impériale, si mon amour pour le bien, si mon zèle m’avait séduit, daignez, Sire, croire que l’auteur seul est coupable; l’Université ignore cette démarche, mais applaudira à son succès.
Le Comte Liewen n’a pas lu ce mémoire. Mais j’ose prier Votre Majesté Impériale de vouloir bien s’en ouvrir à lui et à lui seul, par des raisons faciles à sentir.
Je prie le Ciel avec toute la ferveur dont je suis capable de Vous ramener sain et sauf dans la Patrie1 et de Vous y offrir le plus de sujets de satisfaction et de bonheur possibles. C’est le vœu sincère et profondément senti de celui qui se dit avec vérité, pureté et le plus absolu dévouement,
Sire,
De Votre Majesté Impériale
le très humble et très obéissant serviteur et sujet
Parrot.
Annexe
[Mémoire sur l’administration de l’Université et des écoles de l’arrondissement de Dorpat]
L’Université de Dorpat a été, dès sa naissance et constamment depuis, comblée des grâces les plus précieuses de son Auguste Fondateur. Des temps malheureux ayant eu une influence nuisible sur cet institut, l’Empereur a réparé récemment les torts de ces temps avec une bonté et une munificence qui n’appartiennent qu’à Lui1. Enfin Il a donné à l’Université de Dorpat le Comte Liewen, curateur dans le sens le plus noble de ce mot, homme pur qui est vraiment ce qu’il paraît être, ami zélé des sciences et de la vertu, persécuteur de l’immoralité et des désordres. Les écoles de l’arrondissement de Dorpat se glorifient des mêmes prérogatives.
Et cependant ces deux instituts importants sont rongés par un ver intestin qui les mine sourdement, absorbe leurs plus nobles forces, leur laissant toutefois l’apparence de santé et de vigueur.
Ce ver intestin, cette étisie cachée, c’est le pédantisme des formes poussé jusqu’à un excès incoyable, qui multiplie à l’infini le nombre des affaires et change insensiblement une société de savants en une chancellerie.
L’Université de Dorpat est un institut qui a en petit presque toutes les branches d’administration d’un État à gérer, la juridiction civile sur tous ses membres, la police sur les étudiants, la gestion de ses finances, l’administration intérieure, les relations avec d’autres corps administratifs, la censure des livres et enfin la direction des écoles, direction qui comprend à elle seule presque toutes ces branches d’administration. Enfin le premier devoir des professeurs est de lire leurs collèges, s’y préparer, étudier les progrès de la littérature, chacun dans sa partie, en outre illustrer l’Université et étendre le domaine de la science par leurs ouvrages.
Dans tout autre département chacun de ces objets d’administration a pour chaque province son collège à part qui s’occupe exclusivement de cet objet. Les professeurs par contre doivent donner leurs soins à toutes ces affaires et en outre être hommes de lettres; et l’on exige aujourd’hui qu’ils remplissent toutes ces tâches avec la même prolixité, avec le même pédantisme des formes, avec la même profusion de papiers, avec laquelle chaque autre collège n’en remplit qu’une seule. Pendant les 12 premières années de l’existence de l’Université de Dorpat le Gouvernement n’a pas songé à cette prétention, et à juste titre; car si le même esprit de minuties avait présidé à l’établissement de l’Université et des écoles de l’arrondissement de Dorpat, l’organisation de ces instituts importants ne serait peut-être pas encore achevée, et l’on se demande avec étonnement pourquoi la direction de ces instituts exige trois fois plus de travaux que leur création? Car pendant ce premier période la commission des écoles de Dorpat n’avait que la moitié d’un secrétaire et un seul copiste. Les nouveaux statuts lui donnent un secrétaire entier et deux copistes. Il a fallu depuis ajouter le troisième copiste et l’on est en ce moment forcé d’engager encore trois copistes extraordinaires, un pour cette même commission, deux pour les autres chancelleries de l’Université; le Recteur et le Curateur même sont écrasés de travail et ne peuvent plus suffire aux expéditions, et ceux des professeurs, que leur malheur a jetés plus spécialement dans les affaires, se voient forcés de s’éloigner, de négliger leur vocation principale pour vaquer à des occupations qui ne devraient servir que de moyens, mais qui par leur multiplicité engloutissent le but.
Mais ce n’est pas tout: la perte du temps voué à tant de riens est encore le moindre mal. L’Université voit constamment le glaive de la responsabilité suspendu sur sa tête pour peu qu’elle s’écarte de quelques-unes de ces inutiles formes. L’effet ne peut être autre que de faire de la crainte le mobile de nos actions, c.à.d. nous paralyser moralement, après que nous avons travaillé 20 ans par zèle, par amour du bien.
Mais on objecte
1) Que le travail, si on le partage entre 25 ou 30 professeurs, se fera facilement.
2) Que les autres Universités russes se soumettent sans murmurer à ces formes que Dorpat trouve si onéreuses.
On répond à cette première objection que tout professeur ne peut pas être homme d’affaires, que rarement on voit réunis les talents pour les sciences et pour l’administration, et que par conséquent tout le travail administratif retombe sur un petit nombre
Quant à la seconde objection, la réponse est bien simple: Dieu préserve l’Université de Dorpat de devenir ce que les Universités de Moscou, de Charkoff et Casan sont, qui au reste eussent mérité un meilleur sort! Mais le pédantisme des formes, s’il continue, amènera cette ressemblance.
L’auteur de ce mémoire est bien éloigné de vouloir bannir toutes les formes. Les formes sont nécessaires partout, dans les affaires publiques et privées. Mais elles doivent avoir un but, autre que celui de leur propre existence; elles doivent être calculées uniquement sur le but de l’institut auquel elles doivent servir et non engloutir ce but. L’eau est salutaire, nécessaire à l’homme, mais une inondation noie des villages entiers, désole des provinces.
On a paru sentir cela et le Ministère de l’instruction publique fait l’essai de donner à chaque université un Directeur chargé de mener les affaires3. Mais ce Directeur, trop petit pour faire du bien, assez grand pour faire tout le mal qu’il voudra, ruinera le vrai esprit des lettres et le zèle, encore plus vite que les formes ne peuvent le faire. Étranger à l’université parce qu’il n’est pas homme de lettres et ne peut pas l’être s’il veut faire son métier, parce qu’il ne dépend pas d’elle mais uniquement des supérieurs, il ignorera constamment ou voudra ignorer et les ménagements que les sciences exigent, et les égards qu’on doit aux savants. Il voudra par ex. faire rendre compte au chimiste et au physicien de chaque goutte d’acide ou d’alcool, de chaque verre cassé dans leur expériences. Enclin à faire sentir son autorité, désirant se faire valoir auprès des supérieurs, n’ayant d’autre but que de faire aller les affaires et fournir au Ministère annuellement quelques milliers de numéros de chancellerie pour prouver son zèle et ses soins, il opprimera les professeurs, vexera même le Recteur et pourra aller, en vertu des formes, jusqu’à lier les mains au Curateur, dont il aura en effet l’autorité sans le paraître et surtout sans en avoir l’esprit. L’auteur de ce mémoire rougit à la seule idée de voir un jour ses collègues faire la cour à cet homme obscur pour se mettre à l’abri de ses vexations ou de ses insultes. Par contre il témoigne avec un vrai plaisir à son Curateur sa déférence et son respect, parce que le Curateur est trop élevé pour vouloir vexer, parce que les relations de l’université au Curateur sont fondées sur la confiance et l’attachement. On aime et on respecte le Curateur, on haïra et on méprisera le Directeur, l’un et l’autre avec raison. L’expérience s’est déjà prononcée sur ce point plus que l’auteur de ce mémoire n’ose dire. – L’université dans son état présent forme un bel ensemble avec son Curateur et son Ministre; le Directeur ne sera qu’un rouage de plus, inutile et par conséquent nuisible, qui détruira la confiance entre l’université et ses supérieurs naturels.
Car quel sera le degré d’autorité confiée au Directeur? Sera-t-il le supérieur, ou l’égal, ou l’inférieur du Recteur? Dans le premier cas le Recteur est avili et perd toute son autorité vis-à-vis de ses collègues et des étudiants. Dans le second cas il existera un conflict perpétuel et inévitable d’autorité entre ces deux chefs. Dans le troisième le Directeur est inutile et un chef de chancellerie fera les affaires aussi bien que lui sans avoir le pouvoir de vexer personne. Depuis 6000 ans l’humanité se tourmente et se fait la guerre pour trouver le moyen de balancer les autorités dans l’État. Ce grand problème est résolu pour l’Université de Dorpat. Le Conseil de l’Université
Mais quelle est l’origine de ces formes superflues, accumulées de jour en jour? C’est la défiance. Le Gouvernement, trompé souvent par ses employés, se défie de tous et croit ou espère empêcher les prévarications en entassant les formes comme autant de barrières contre la mauvaise foi et la mauvaise volonté. Trois inconvénients ont été la suite de cette maxime. Le premier est que chaque nouvelle forme est un nouveau rempart pour le fripon en même temps qu’elle est une nouvelle gêne (j’ose dire une nouvelle cruauté) pour l’homme probe. Car l’État ne doit pas s’imaginer que ceux qui font les projets de loi, qui inventent ces formes, soient eux seuls plus habiles que les milliers de fripons qui ne rêvent jour et nuit qu’à les rendre illusoires; c’est une guerre sourde où le grand nombre est toujours sûr de la victoire. Le second inconvénient est que le chef d’un département se trouve à la fin offusqué de tant de formes, aveuglé par les détails immenses auxquels il est contraint de se livrer et qu’enfin (comme le dit le proverbe allemand) à force d’arbres il ne voit plus le forêt. C’est alors que les inférieurs ont beau jeu! Le troisième inconvénient est la démoralisation des agents de l’État par le sentiment pénible de la défiance à laquelle ils sont assujettis. Il faut réellement une vertu mâle pour conserver sa probité avec l’idée que l’État suppose une fourberie générale; et tel qui ferait son devoir si on lui témoignait quelque confiance, devient fripon parce que le Gouvernement le suppose tel; on veut mériter le traitement qu’on essuie. La confiance ennoblit l’homme et raffermit sa vertu; la défiance rétrécit son cœur, paralyse son âme entière (la sainte bible dit: la forme tue, l’esprit vivifie4). C’est ainsi que, le Gouvernement ne comptant plus sur la responsabilité morale, la responsabilité civile est devenue illusoire pour le méchant, terrible à l’homme de bien. Un exemple général et frappant suffira pour mettre ces vérités dans tout leur jour. L’Empereur a établi pour la comptabilité un département particulier, celui de Contrôleur général5, parce que la révision des comptes languissait dans le Sénat qui ne pouvait suffire à ce travail et était en arrière de 30 ans et plus. L’Empereur a senti qu’il était injuste, inhumain, ridicule même d’exercer après 30 ans la responsabilité sur un homme vraisemblablement mort, et qui, s’il vit encore, est hors d’état de donner les renseignements qu’on peut lui demander, et par conséquent de se justifier. L’idée était parfaitement juste; mais l’exécution l’a rendue illusoire, parce qu’on a pris les affaires où elles en étaient et commencé le travail par les vieux comptes; on en est au point où l’on en était auparavant. Pour que ce département devient réellement utile il faut commencer par déclarer justes tous les comptes passés
Le Gouvernement peut-il se passer de confiance? Sûrement pas. Le Monarque ne peut pas tout faire, s’il le voulait il ne ferait proprement rien et, se défiant de ses agents, il perd le noble charme de régner qu’il ne peut sentir qu’en tant qu’il pénètre l’administration et s’assure par là qu’il fait le bonheur de ses sujets. Lui rendre la confiance c’est lui rendre son propre bonheur et celui de son peuple. Mais, dit-on, il faut au moins limiter autant que possible le nombre des hommes de confiance pour être plus sûr de n’être pas trompé. – Peut-être; mais alors il ne faut pas multiplier les travaux beaucoup au-dessus des forces de ces hommes de confiance, sans quoi ceux-ci en chercheront d’autres sur lesquels ils se déchargeront de ces travaux, et voilà la Bureaucratie établie – et régnante! N’est-il pas plus simple, plus naturel et plus sûr d’accorder de la confiance aux collèges qui sont les vrais travailleurs dans la machine de l’État, qui opèrent dans le vrai sens de la chose qu’ils ont journellement sous les yeux? Ce mode au reste n’exclut nullement la surveillance des Supérieurs, qui s’exercera d’autant plus facilement que le nombre des papiers et des employés sera moins grand et l’administration plus simple. L’Université de Dorpat, avec son Curateur et ses écoles, forme un ensemble où toutes les parties ont intérêt au bien de la chose. Ses membres ont de quoi vivre sans chercher des profits illicites; l’amour des sciences en outre les élève au-dessus des idées viles de la friponnerie; et si l’on peut citer un exemple contraire, la promotion de deux sujets indignes6, c’était dans le temps où les appointements ne suffisaient pas à l’entretien des familles et c’étaient des jurisconsultes qui, avant d’être professeurs, s’étaient déjà corrompus d’avance dans les affaires, et leur prévarication a eu lieu dans le temps des vacances, où le seul homme qui eût pu l’empêcher, le Recteur, était le chef de ces fourbes. Les mesures sont prises pour qu’un cas pareil ne puisse plus se renouveler. Bref, il existe à Dorpat un esprit de corps qui veut le bien, qui veut l’honneur de l’Université, qui surveille chaque individu et force par les sentiments de l’honneur celui que le zèle et la Religion ne retiendraient pas dans l’esprit du devoir. Mais cet esprit ne peut exister ni sous le pédantisme vexateur des formes ni sous le despotisme d’un Directeur; il fera place à la crainte; l’on finira par concentrer tous ses soins à se mettre
Enfin l’on se demande: Quel est le but de cet entassement de formes, de cet amas de papiers dont les Supérieurs eux-mêmes sont écrasés? Ce but est double, de s’assurer si les professeurs font leur devoir et si les finances de l’Université et des écoles sont bien administrées.
Le second but, celui des finances, est si petit qu’un homme, qui n’est pas né dans les formes, ne conçoit pas l’immense appareil qu’on étale pour empêcher à Dorpat la dilapidation. La somme annuelle, que l’Empereur a assignée à l’Université de Dorpat, se monte à 337 710 Roubles papier. Si l’on en déduit les sommes à payer en appointements, gages, pensions, stipendium, prix, voyages pour la révision des écoles et ceux des nouveaux professeurs et autres sommes fixes qui ne peuvent être un objet de déprédations, il ne reste qu’environ 90 000 Rbl. sur lesquels la mauvaise foi pourrait faire quelques petits profits; mais cette somme contient encore 46 100 Rbl. que coûte l’entretien des instituts scientifiques confiés à la direction et la bonne foi de 16 professeurs (qui au reste ne manient point l’argent destiné à ces instituts, mais assignent les comptes à payer) et il reste de l’état total de l’Université à peine 44 000 Rbl. sur lesquels il soit possible de faire quelques petites friponneries. Et pour empêcher ces minutieuses déprédations l’Université a bien assez d’une chambre des finances composée du Recteur et de quatre doyens qui changent d’année en année et sont soumis eux-mêmes au bout de chaque année à une révision générale faite au nom du Conseil de l’Université par trois de ses membres. Les finances des écoles du district de Dorpat offrent un aspect semblable. Leur état se monte à 214 550 Rbl. papier et les sommes fixes à payer en appointements, loyers etc. à 161 350 Rbl., en sorte qu’il ne reste qu’environ 53 000 Rbl. sur lesquels on puisse faire quelques profits illicites. Or il est bien prouvé par l’expérience que, même sous les formes les plus sévères, ces petites friponneries des subalternes ne peuvent être absolument réprimées si ces subalternes veulent être de mauvaise foi. Supposant donc que ces déprédations de détail pussent se monter pour l’Université à 1000 Rbl. par an et dans les écoles à pareille somme, cela vaut-il la peine d’occuper à l’excès et de molester tant de professeurs et de directeurs et inspecteurs des écoles qui ont tout autre chose à faire, et d’affaiblir leurs forces et leur zèle pour leurs devoirs? Plût au Ciel que dans toutes branches d’administration qui coûte 550 000 Rbl. annuellement, on fût sûr de réduire les déprédations à 2000 Rbl., c.à.d. à 1/276 ou à moins de 2/5 de copec par rouble! Dans l’idée impossible d’empêcher cette perte et de mener les affaires dans les formes prescrites, l’Université est obligée, comme il a été dit plus haut, de solder quatre copistes de plus que les statuts n’ordonnent, c.à.d. faire une dépense annuelle de 3200 Rbl., et de tourmenter ses membres et les écoles!
Toutes ces considérations réunies inspirent à l’auteur de ce mémoire la hardiesse de supplier l’Empereur de permettre à l’Université de soumettre à Sa Majesté Impériale par voie officielle un plan d’administration simple et sûre et adaptée aux besoins de l’Université de Dorpat.
On pourrait, à la vérité, objecter contre tout plan de ce genre, différent de celui qui paraît avoir été adopté pour les autres branches d’administration, que ce plan ne cadrera pas. – Mais pourquoi doit-il cadrer? Le Ministère des finances paie, le Contrôle général fait annuellement la révision des comptes. Qu’importe à ces deux départements de quelle manière et de quel droit les dépenses ont été faites? Cet examen est de la compétence du Ministère de l’instruction publique, qui s’y entend, à qui les comptes sont remis immédiatement et qui, après sa propre révision concernant le mode et la légalité, les remet au Contrôle général qui décide de l’exactitude du calcul. – L’État, dit-on, est un corps organique où tout doit cadrer. Interrogeons donc la nature sur les moyens qu’elle emploie pour former l’organisme le plus parfait, celui de l’homme. A-t-elle les mêmes vaisseaux et les mêmes modes d’action pour la circulation, la digestion, la respiration, les sécrétions, les assimilations? Point du tout; elle a pour chacun de ces fonctions non seulement des organes à part, mais aussi des modes d’action partout différentes l’une de l’autre. Vouloir former un corps organique en jetant tout dans un seul et même moule, c’est vouloir être plus sage, plus intelligent, que la Divinité même. Cette uniformité malheureuse qu’on veut introduire de force dans l’administration est ce qui rend aujourd’hui l’art de gouverner si difficile, parce que, au lieu de faire régner la simplicité, elle donne naissance à mille exceptions indispensables qui se renouvellent chaque jour et par conséquent à autant de détails qui d’ailleurs n’existeraient pas. Elle finit par faire naître le mépris de ces lois qui se trouvent partout ou nuisibles ou insuffisantes; et l’homme le plus malheureux de l’État est le Monarque, qui doit tout signer et sanctionner tous les abus enfantés par ces lois uniformes, tirées à la règle et au compas au travers de tous les départements, d’un bout de l’Empire à l’autre. L’art de gouverner n’est pas un exercice de géométrie, mais le plus grand problème de la morale et de la logique, et ce problème accuse hautement le pédantisme des formes.